La production nationale varie entre 600 à 1 800 tonnes par campagne, qui ne dure que quelques mois. Pêché principalement à Markala, ville située à 35 km de Ségou, ce poisson y est transformé par les femmes souvent organisées en coopérative.
En cette saison froide, les « Tinèni » (ou Brycinus leuciscus qui est leur nom scientifique), pullulent sur les marchés du pays. Pêché dans les eaux du fleuve Niger à Markala, Mopti, Manantali et Sélingué, où il frétille non loin du lit, ce petit fretin se retrouve au marché de Médina Coura d’où les poissons seront distribués dans Bamako et ses environs. Avant de se retrouver sur les étals de vente et dans les assiettes des vendeuses de beignets, au coin des rues.
Il est 10 heures, au marché de Médina Coura (appelé Soukouni-Coura). Les revendeurs notamment grossistes et semi-grossistes s’y ravitaillent en Tinèni., Bakoroba Coulibaly y est fournisseur en poissons de tout genre, il est même l’un des plus connus d’entre eux et évolue dans ce commerce depuis plus d’une trentaine d’années.

Nous l’avons rencontré devant son magasin en train de laver dans une baignoire remplie d’eau des Tinèni qu’il vient de réceptionner. Il les repêche et les réserve dans un grand panier contenant des blocs de glace réduits en glaçons afin de mieux les conserver. À peine a-t-il fini, des clients se présentent, pressés d’être servis.
Commence un marchandage qui durera des minutes. « Le prix de ce petit poisson est fluctuant, c’est-à-dire qu’il peut fléchir ou grimper à tout moment », explique le commerçant d’un ton peu courtois, mais serein. Selon lui, la variation de prix dépend de l’offre et de la demande. Ces poissons sont très abondants au clair de lune et se font rares lorsque la lune s’éclipse, enchaine Bakoroba Coulibaly, comme pour tenter de convaincre ses interlocuteurs.
Une production qui a la côte
Il faut dire que le commerce du Tinèni a la côte en ce moment. « Les clients qui viennent s’approvisionner ici peuvent acheter chacun 30 à 100 kg par jour. Généralement, ils les font frire avant de les revendre », explique le quadragénaire qui emploie plus d’une dizaine de personnes. Quand ce poisson est bien frit, précise le négociant, il peut être conservé pendant dix jours sans risque de décomposition.
Il poursuit en expliquant que le Tinèni est souvent utilisé en garniture sur la salade et divers plats. L’huile de ce poisson est également un délice. Pour l’extraire on laisse le poisson pourrir dans un récipient contenant de l’eau. Au bout de quelques jours, les éléments gras flottent sur l’eau, la chair se couche au fond. Celle-ci est séchée au soleil pendant des jours pour la conservation.
Revendeuse de poisson, Machata Dembélé fait partie des clients de Bakoroba Coulibaly. Munie d’un sac de couleur noire, elle vient d’acheter 8 kg de Tinèni qu’elle va frire pour ensuite revendre, une activité qu’elle mène devant sa maison depuis 4 ans. « Aujourd’hui, j’ai acheté le kg à 600 FCFA. Je ne connais pas d’autres recettes pour préparer le Tinèni à part la friture », lance-t-elle, sourire au coin des lèvres.

Pourtant il existe diverses recettes, aussi délicieuse les unes que les autres. Mme Diana Kaba Diaby, dite « Mme Diaby », en donne ses secrets sur le très populaire réseau social Tik Tok, via lequel elle est suivie par plus de 360 000 abonnés. À 16 h ce jour-là, Mme Diaby revient du marché avec son brycinus leuciscus. Un des abonnés a souhaité découvrir d’autres recettes. Et c’est parti… « Aujourd’hui, je vous propose quelques recettes », lance la Tiktokeuse sur sa page. Elle explique qu’il est possible de faire du sandwich au Tinèni. « Il suffit juste, explique-t-elle, d’enlever la tête et les petits intestins. Puis vous découpez un morceau de gingembre, mettez tous les ingrédients entrant dans la préparation, et râpez ensuite le gingembre ».
On peut aussi en faire des boulettes, de la sauce bolognaise pour le mettre sur les spaghettis, des nems, et le faire griller. Ce poisson peut être également utilisé dans une sauce oignon et dans la sauce de couscous, ajoute celle qui dit avoir enregistré plus de 45 000 ‘like’ sur sa page et reçu plus 800 commentaires de remerciement et d’encouragement.
Le principal défi reste la conservation, la transformation et surtout sa production durant toute l’année. Le tinèni commence à apparaitre pendant les premières pêches de décrues. « Quand le niveau de l’eau baisse, c’est le premier poisson qui arrive en vagues », explique le directeur national adjoint de la Pêche. Pour Alhousséyni Sarro, il permet aux pêcheurs de subvenir à leurs premiers besoins de campagne. Et c’est pêché avec des filets spécifiques, appelés « tinèni djô », des filets à maille très réduite, précise-t-il.
Quand la production est grande quantité, souligne le spécialiste, on en extrait l’huile pour pouvoir conserver pendant longtemps. Cette huile est très appréciée par les consommateurs, parce que c’est sans cholestérol. M. Sarro déplore cependant le fait qu’il n’existe pas d’usine de transformation. Ce sont les femmes des grandes zones de production, telles que Markala, Macina, Djenné et Mopti, qui produisent de l’huile de Tinèni en grande quantité, à l’aide de moyens rudimentaires.
Organisées en coopératives, elles assurent le broyage du poisson, la cuisson et l’extraction de l’huile qu’elles conditionnent en bidons de 20 à 30 litres. Elles sèchent le Tinèni en l’exposant au soleil. Séché, il est utilisé comme « bouillon » dans la sauce, nous informe le directeur national adjoint de la Pêche. Sa production, ajoute-t-il, qui ne dure qu’un petit moment, est estimée entre 600 à 1800 tonnes par campagne sur l’étendue du territoire national.
Fatoumata M. SIDIBÉ


Jusqu’au moment où il n’y en aura de nouveau plus, quoi.