Voici quelques mois, le référendum a donné aux autorités, ministère de l’Administration territoriale et Autorité indépendante de gestion des élections, l’occasion de tester leur capacité opérationnelle. Mais de plus grands défis sont devant.
En cette matinée de septembre, un ballet quasi ininterrompu de visiteurs et de techniciens se tient au secrétariat de la Direction générale de l’administration du territoire sise au ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Le maître des lieux, sollicité au-delà du possible, ne rechigne pourtant pas à consacrer le temps nécessaire à la presse. « Nous sommes là pour gérer tout cela, les portes vous seront toujours ouvertes », nous assure d’une voix calme, mais fatiguée Abdoul Salam Diepkilé, directeur général de l’Administration territoriale. Pour notre interlocuteur, il est plus qu’utile de tirer les leçons d’une actualité encore récente. En effet, le Mali venait de réussir un exploit que les plus sceptiques avaient estimé irréalisable. Le pays était passé à la IVe République à travers un referendum tenu le 18 juin dernier. Pour y parvenir, tout s’est fait au pas de charge. « Le collège électoral a été convoqué à deux mois du scrutin. C’était un fait inédit », souligne notre interlocuteur.
Le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation a joué sa partition dans ce succès. « Conformément à l’Article 5 de la Loi électorale, notre mission principale est une mission d’appui à l’Autorité Indépendante de gestion des élections (AIGE) », rappelle Abdoul Salam Diepkilé. Cet appui s’est organisé au sein d’une commission technique qui rassemblait notamment des représentants des départements chargés de la Défense, de la Sécurité, des Finances, de la Refondation de l’État et de la Communication. L’Administration territoriale y était notamment chargée de l’organisation technique et matérielle des opérations référendaires et électorales, de la révision des listes électorales, de la création, de l’emplacement et du ressort des bureaux de vote. Tout cela en rapport avec l’AIGE.
Sollicitée pour donner son appréciation dur ce premier travail en commun, l’Autorité indépendante de gestion des élections n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Il aurait pourtant été intéressant de savoir comment elle a concrètement pris en charge les missions à elle affectées par l’article 4 de la Loi électorale. Celle-ci stipule que « l’Autorité indépendante de Gestion des Elections a pour mission l’organisation et la gestion de toutes les opérations référendaires et électorales ». A ce titre, elle est chargée de la confection, de la gestion, de la mise à jour et de la conservation du fichier électoral ; de la réception et de la transmission des dossiers de candidatures relatifs aux élections des Députés à l’Assemblée nationale, des Conseillers nationaux et des Conseillers des Collectivités territoriales ; de la confection, de la personnalisation, de l’impression et de la remise des cartes d’électeur biométriques à l’occasion des opérations référendaires et des élections ; du suivi de la campagne électorale ; des opérations de délivrance des procurations de vote ; du suivi du déroulement des opérations de vote.

Pour Souleymane Dé, président de la Commission Lois du Conseil national de transition (CNT), le Référendum était un premier curseur à pousser pour pouvoir aller à la fin de la Transition. Fin qui verra le peuple malien sortir grandi d’une refondation enclenchée et d’élections générales bien organisées. M. Dé ne dissimule pas la satisfaction qu’il ressent face au défi relevé par les organisateurs. Il rappelle que depuis l’avènement de la démocratie marquant l’entrée en vigueur de la Constitution du 25 février 1992, il n’avait pas été possible de modifier celle-ci malgré quatre tentatives. Le premier échec avait été enregistré sous Alpha Oumar Konaré en 2000, le deuxième sous Amadou Toumani Touré en 2011, les derniers sous Ibrahim Boubacar Kéita en 2018 et 2019.
Duo opérationnel
Pour prévenir un nouvel enlisement, la Transition a opté pour la démarche la plus logique : changer de Constitution et prendre en compte dans le nouveau texte tous les griefs adressés au texte fondamental de 1992. Celui-ci, selon Dr Souleymane De, comportait des insuffisances notoires. Il s’agissait notamment du non-respect de certaines directives transposables au Mali dont le cas de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) notamment la création d’une Cour des comptes, la problématique de la double nationalité d’éventuels candidats à la présidence de la République, l’attention majeure à accorder à la place que l’Armée doit occuper dans un pays en crise depuis 2012, le rôle que doit jouer l’Administration dans la gouvernance de l’Etat, mais aussi et surtout la question des langues (le français étant désormais relégué au rang langue de travail) et la reconnaissance des légitimités traditionnelles. Les innovations contenues dans la Constitution du 22 juillet 2023 portent donc, selon notre interlocuteur, le sceau de la refondation.
Pour Fousseyni Diop, superviseur à la Mission d’observation des élections au Mali (MODELE MALI), la création de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) émane de la volonté exprimée par des partis politiques et la société civile en faveur de la mise en place d’un organe unique de gestion des élections. Toutefois, regrette Diop, « nous aurions voulu un organe indépendant unique qui assurerait la gestion des élections, mais nous nous retrouvons avec à côté de l’AIGE le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation qui dispose toujours d’importantes prérogatives ». Cette remarque critique ne recueille pas l’assentiment de Abdou Salam Diepkilé qui estime que « le duo Gouvernement-AIGE a bien fonctionné ». Lui est donc partisan de renforcer cette synergie afin que la machine de l’Etat soit mise à la disposition de l’AIGE en période électorale.
La Loi électorale dans sa version définitive peut-elle éviter tout ce qui a été reproché aux anciens textes, notamment le pouvoir excessif de la Cour constitutionnelle et l’incapacité des organisateurs à refréner la fraude électorale ? Sur ces points l’expert électoral, Issa Tiéman Diarra, est catégorique. A son avis, la loi ne vaut que par son application, c’est-à-dire sa compréhension et son acceptation par les acteurs qu’elle concerne. Les pouvoirs donnés à la Cour constitutionnelle resteraient acceptables si cette Cour les exerçait avec mesure, discernement et bon sens, sans abus aucun.
Quant à la fraude électorale, elle ne saurait, selon l’expert, être combattue efficacement par le seul fait d’avoir pris un texte qui la condamne et en prévoit la sanction. Autrement dit, ce sera l’application effective des sanctions prévues par la Loi électorale qui pourra bien contribuer à circonscrire un phénomène qui se manifeste sous différentes formes, depuis le recensement des électeurs jusqu’à la proclamation des résultats.
Futurs défis
Concernant le scrutin référendaire, Issa Tiéman Diarra confirme que le défi a été relevé. Cependant, tout comme Abdou Salam Diepkilé, il reconnait que le contexte sécuritaire a pesé sur les conditions d’organisation et de tenue du scrutin référendaire, notamment en ce qui concerne l’acheminement du matériel électoral et la sécurisation des lieux de vote. Des menaces diverses ont en effet empêché le déroulement des opérations dans plusieurs localités. En outre, la préparation du scrutin a connu des difficultés spécifiques qui ont entrainé des modifications au niveau de la Loi électorale, modifications destinées à permettre la participation la plus large possible des électeurs.
Le diagnostic de Fousseyni Diop est plus nuancé. Pour lui, le scrutin a souffert tout d’abord du fait qu’il a dû respecter des délais trop courts d’organisation. En effet, tous les acteurs n’étaient pas prêts à aller au référendum. A l’inverse, la campagne a commencé avant son lancement officiel. Des dispositions de la Loi électorale ont été violées notamment la confection de casquettes ou tee-shirts à l’effigie de tel ou tel camp. Les partisans du « NON » se sont plaints du temps d’antenne succinct qui leur a été affecté sur les médias publics. Les partis politiques ne se sont pas massivement impliqués. Selon M. Diop, le vote anticipé des militaires a causé un souci : il devait y avoir une liste spéciale pour ceux-ci et cette disposition n’a pas été observée. Au regard de ces faiblesses, l’AIGE pourra-t-elle assumer toutes les fonctions qui sont les siennes lors des prochaines élections communales, législatives et présidentielle ?
« Il est vrai que le contexte dans lequel s’est déroulé le référendum n’était pas très facile à gérer par l’AIGE, reconnait le Directeur général de l’Administration du territoire. Le peu de temps qu’elle a eu pour s’atteler à la tâche a quelque peu joué sur les questions de préparation. C’est pourquoi notre ministère est venu en appui ».
« L’AIGE va relever le défi de mener à bien tous les processus électoraux, assure Dr Souleymane De. Dans les années à venir, elle sera un instrument suffisamment expérimenté pour relever tous les défis d’organisation ». Le président de la Commission Lois du CNT rappelle que la mise en place de l’Autorité constituait une demande insistante des acteurs du processus électoral. Ceux-ci ont préconisé la création d’une structure unique dédiée à l’organisation des élections. Cette structure se substituerait aux précédents intervenants (Cour constitutionnelle, ministère chargé de l’Administration territoriale, CENI, Comité de l’égal accès aux médias d’Etat). Ce vœu est comblé.Il faut désormais relever les défis sécuritaire, logistique, financier et de ressources humaines qu’il comporte.
Oumar SANKARE
