Djeneba Togo : la passion, le combat

La plasticienne s’investit totalement la création, mais sans se détacher du réel : au Mali, être épouse, mère, et artiste, ne va pas de soi. Mais sa passion la soutient.

Lorsqu’on l’interroge sur la place que la peinture a pris dans sa vie, Djénèba Togo ne tergiverse guère. Elle évoque une passion qui s’est manifestée spontanément dès ses jeunes années. Une passion qui l’a incitée à se perfectionner continuellement et qui l’encourage aujourd’hui à la faire partager aux autres. « Dès l’obtention de mon diplôme d’études fondamentales, nous raconte-t-elle, j’ai décidé de faire le concours d’entrée à l’Institut national des arts où j’ai suivi le cursus de 2009-2013 en Arts plastiques. Ensuite pour me perfectionner, je suis allée étudier dans la section Arts plastiques du Conservatoire des arts Balla Fasséké. J’y ai obtenu une licence ».

Entrée de plain-pied dans l’univers de la création, Djénèba poursuit sans relâche sa quête du savoir et saisit toutes les occasions d’approfondir son art. Elle enchaîne ainsi les formations avec le centre Soleil d’Afrique, fait des expositions avec SIFArt et H. Galerie, participe à une résidence de l’Union européenne. Elle est membre d’une association d’artistes créée en 2020, dénommée « Mi-Créa » (« Missabougou Création ») qui a pour but de valoriser notre culture et d’inciter les jeunes à s’intéresser à l’art, voire à s’y adonner.

Nous avons rencontré Djénèba dans le nouvel atelier où elle vient de déménager et qu’elle partage avec une autre plasticienne. L’odeur âcre qui sort des boîtes de peinture titille les narines. Des tableaux de la colocataire sont disposés près de la fenêtre, le temps qu’ils sèchent. La jeune dame s’affaire sur ses propres créations qu’elle vient juste de ramener. Pour le moment, elle n’en a encore vendu aucune, mais cela ne la contrarie guère. « Quel que soit le domaine dans lequel vous évoluez, difficulté et facilité vont de pair, l’art ne fait pas exception à cette réalité », philosophe notre interlocutrice.

Sur le chemin qu’elle a choisi d’emprunter, Djénèba classe parmi ses plus beaux moments les rencontres enrichissantes qu’elle a eues avec des personnalités de la création, comme Amadou Sanogo. A ses yeux, ce dernier est l’un des plus grands plasticiens du Mali. Tout comme M. Tchiango, un de ses professeurs à l’INA, et lors de ses études au Conservatoire, Djénèba a eu à rencontrer Dani Leriche, un plasticien français qui vient chaque année au Mali en qualité de volontaire pour donner des cours aux étudiants de licence. Toutes ces rencontres la poussent à s’améliorer.

Être plasticienne n’est pas une sinécure dans notre pays. La société impose certaines charges aux femmes. Elle fait de l’épouse l’âme du foyer, l’obligeant par là-même à renoncer à certains choix de vie et à tourner le dos à ce qui lui tient à cœur. Djénèba n’échappe pas totalement à ces contraintes. Elle s’acquitte de celles-ci du mieux qu’elle peut. Par bonheur, elle bénéficie des attentions d’un partenaire compréhensif.

« Mon mari ne connaît rien de l’art, explique-t-elle, mais cela ne l’empêche pas de m’épauler. Il se fait expliquer la signification de certains de mes tableaux. Souvent nous conversons sur l’art et il joue au critique professionnel. Je lui suis reconnaissante pour sa compréhension. En effet, ce n’est pas facile pour moi de m’adonner à ma passion alors que je vis dans la belle-famille, qui est une grande communauté au sein de laquelle je dois m’acquitter de mes devoirs d’épouse. On attend avant tout de moi que je m’occupe convenablement de mon mari ainsi que de mes enfants… »

Ces impératifs, Djénèba s’y plie. Mais elle en paye aussi le prix. Des opportunités de formation et de voyage à l’extérieur du pays se sont offertes à elle. Malheureusement elle a dû y renoncer et a vu d’autres créatrices en récolter le bénéfice. Aucune amertume cependant : « je suis tellement passionnée par ce que je fais, nous assure-t-elle, que je n’ai jamais pensé à y renoncer. Je ne m’interroge pas pour savoir si j’y gagne quelque chose ou pas. »

Cette profession de foi, Djénèba la formule avec une sincérité si profonde que l’on comprend mieux la joie qu’elle éprouve aujourd’hui à transmettre sa passion pour l’art aux jeunes enfants. Cette initiation lui procure un réel bonheur. La plasticienne est enseignante d’art dans deux écoles et se dit émerveillée par la réactivité des enfants, qui perçoivent ses cours comme un jeu passionnant. Elle se désole cependant que beaucoup d’adultes soient contre le fait que leurs enfants apprennent à dessiner. « Au Mali les parents sont contre l’aspiration de leurs enfants à devenir de futurs artistes », constate Djénèba. Qui se souvient avec émotion que lorsqu’elle préparait son mémoire de fin d’études au Conservatoire, ses enfants (elle en a quatre) l’aidaient. Le plus grand s’occupait de la benjamine tandis que les autres lui passaient son attirail de peinture.

Le grand écrivain russe Dostoïevski a écrit que ‘’l’art sauvera le monde’’. Djénèba souscrit entièrement à cette affirmation. Son combat à elle est de soutenir à travers ses tableaux le combat contre les violences qui poussent les femmes à la déchéance ou à la mort. Elle nous présente trois de ses œuvres significatives à cet égard. Le premier tableau montre une femme qui finit par se suicider à force d’endurer les violences verbales et physiques dans son foyer. Le deuxième montre une victime du poids de la société. Celle-ci lui impose de rester dans un foyer où elle est malheureuse plutôt que de la laisser sortir des liens du mariage pour se reconstruire. Et le dernier incite les parents à épauler leurs enfants dans le choix de ceux-ci de s’en aller quand la paix et l’harmonie ne règnent plus dans le foyer. Pour Djénèba, l’alternative dans ce genre de situations s’impose d’elle-même : il faut partir ou périr.

Oumou FOFANA

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