Huile alimentaire de récupération, la bonne affaire !

Des résidus d’huile, que les vendeurs de bidons de 20 litres écoulent dans les marchés, permettent à nombre de femmes de faire des économies. Le business marche aussi pour les jeunes cyclistes qui gagnent leur vie grâce à ce négoce assez surprenant mais non sans risques.

L’ombre de la nuit disparait pour céder la place aux rayons du soleil, ce mercredi de septembre. Le soleil peine à réchauffer la terre après la pluie de la veille. Le temps frais incite les uns et les autres à prendre l’air hors de leurs concessions. Il est très tôt, aux alentours de 6 heures, mais les enfants encore en vacances ont déjà entrepris d’investir les rues et ruelles. Certains jouent à cache-cache, tandis que d’autres pratiquent diverses formes de saut à l’élastique. La plupart des petits garçons jouent au ballon sur le moindre espace disponible dans le quartier, tandis que les adultes forment des grins autour du thé pour tuer le temps.

Madani Dembélé apprécie la belle journée qui débute en savourant d’avance le beignet chaud, communément appelé « Fouroufourou » en bambara, qu’il s’apprête à acheter. Cette galette de mil très consommée au petit déjeuner est aussi un amuse-bouche très apprécié l’après-midi à Bamako, surtout quand il pleut. Les beignets chauds combattent alors la fraîcheur ambiante et donnent du tonus.

Tout à ce plaisir anticipé, Madani Dembélé parcourt près de cent mètres pour parvenir chez la vendeuse la plus sollicitée du quartier de Kalaban-Coro Adekène. Dès l’aube, un grand attroupement s’étire devant son étal car les clients sont si nombreux qu’ils doivent faire la queue. Madani Dembélé balaie du regard les deux bancs installés là pour aider les gens à patienter mais il n’y a pas une place de libre. Les enfants trop impatients pour s’asseoir se chamaillent ou se bousculent autour de la vendeuse de beignets.

L’heure arrive pour Aïcha d’entamer son petit commerce. A peine a-t-elle franchi le seuil de sa maison que les visages se détendent, un soupir semble s’élever de l’assistance où s’affichent des sourires. Visiblement, la dégustation des beignets d’Aïcha est un moment très attendu. La vendeuse ne fait pas durer cette attente, elle entreprend assez vite de servir les premiers arrivés. Un, deux, trois, puis très vite une dizaine.

Puis, patatras, c’est la consternation chez les clients. Dès la première bouchée, les nez se froncent, les visages grimacent et les bouchent recrachent avec dégoût les morceaux de beignet enfournés avec un appétit désormais évaporé. Les beignets habituellement savoureux sont aujourd’hui immangeables avec une amertume et une odeur suspectes.

Autour d’Aïcha, c’est la confusion et même une début de bousculade; aux clients désorientés sont venus s’ajouter des petits commissionnaires revenus avec leurs parents mécontents, sachets de beignets inconsommables à la main et protestation à la bouche. Aicha semble aussi surprise et déboussolée que ses clients. Mais de quoi précisément se plaignent tous ces gens ? Du brouhaha des critiques, il ressort très vite que le défaut essentiel des beignets du jour est leur forte odeur d’essence et un goût atroce.

Tous les regards sont désormais braqués sur la vendeuse dans l’attente d’une explication à ce phénomène. Celle-ci se défend d’avoir tenté d’arnaquer ou, pire, d’empoisonner sa clientèle. Elle achète toujours son huile avec le même vendeur, indique-t-elle, et ne comprend donc pas ce qui s’est passé.

Parmi les amateurs de beignet frustrés certains pointent alors un début d’explication. Le fournisseur d’Aïcha fait comme beaucoup de ses semblables à Bamako : il collecte les bidons d’huile afin d’en récupérer les fonds pour les revendre à des femmes, avant d’écouler les bidons. Il fait donc une double recette sans trop se préoccuper des conséquences de son acte.

Ces conséquences se limiteraient, au premier abord, aux faibles qualités gustatives de cette huile de récupération si l’appât du gain n’avait poussé notre vendeur à une manipulation autrement plus dangereuse qu’il a fini par avouer : pour augmenter le nombre de litres à vendre, il a allongé l’huile de table avec de l’huile… de moteur. Et c’est ce cocktail peu ragoûtant qu’il a livré à la pauvre Aïcha. Aujourd’hui le menu du jour c’est : des beignets aux hydrocarbures !

Quelle ampleur a pris cette dangereuse pratique à Bamako ? La question mérite d’être posée tant se sont multipliés les revendeurs d’huile et de bidons. Ce sont des jeunes qui sillonnent les différents quartiers à vélo pour acquérir des bidons vides dans les boutiques et les revendre. Ils ont découvert que ce business offrait la possibilité de se faire un autre petit bénéfice en collationnant l’huile résiduelle des fonds de bidons. Revendue ensuite au bord de la route ou dans les marchés, à un prix intéressant, évidemment.

Rien de bien méchant en apparence si on n’est pas regardant sur la qualité extra du produit. Et ce négoce serait resté marginal si sous l’effet de l’inflation, le coût de l’huile alimentaire n’avait pas augmenté dans des proportions difficiles à suivre pour des ménagères dont le budget, le fameux « prix des condiments », n’a pas bougé. L’huile de seconde main s’est donc trouvé de plus en plus de clientes fidèles et convaincues en raison de son prix relativement modique.

Zeinabou Diallo est membre du club des acheteuses, depuis qu’elle a découvert le produit par hasard au marché de Djicoroni-Para. Sa curiosité est alors attirée par une foule de femmes amassée autour d’un vendeur. Celui-ci vendait des bouteilles de 1 litre à 900 CFA l’unité, alors que le prix n’est pas moins de 1 200 CFA pièce dans le commerce. Depuis, la trentenaire, mariée dans une grande famille, explique faire de fortes économies en se ravitaillant exclusivement en huile de récupération. 

Adja, restauratrice à Sebénicoro, est livrée tous les jeudi par son fournisseur d’huile. « J’ai l’habitude d’acheter des bidons d’huile de 20 litres chez un vendeur qui m’approvisionne en eau potable pendant les coupures. Un jour, j’ai vu un petit bidon de 5 litres accroché à son vélo. Quand j’ai voulu l’acheter, il m’a expliqué que le récipient contenait de l’huile extraite des bidons vides destinés à la vente », raconte-t-elle. Curieuse, la restauratrice a fait un essai mais a été surtout séduite par le prix jugé très abordable. Qu’il y ait une hausse du prix ou une pénurie d’huile végétale, le fournisseur lui vend invariablement le litre de son huile à 350 FCFA.

Ce jeudi matin d’octobre, nous voilà devant la boutique d’un grand commerçant et vendeur de bidons de 20 litres, Boubacar Doumbia, sis à Djicoroni-Para non loin de la rue des 20 mètres. Contre la façade, sous le soleil ardent, se dresse un amoncellement de bidons superposés. Nombreux sont les garçons occupés à extraire les restes d’huile des bidons. Chaque jour, Boubacar Doumbia qui fait commerce de ces bidons en achète plus d’une trentaine auprès des cyclistes-vendeurs.

Ses employés peuvent remplir chaque jour deux à trois bidons de 20 litres d’huile récupérée. Mais le commerçant assure que cette denrée n’est pas destinée à la vente mais à la consommation familiale. Sa femme utilise en effet cette huile de seconde main dans la préparation des repas de la famille et ne s’approvisionne donc plus dans les boutiques.

Visiblement expert en la matière, Boubacar Doumbia note que la récupération du produit peut prendre du temps. Il faut en effet, explique-t-il, laisser les bidons au soleil pendant deux à trois semaines. Le procédé permet aux restes du produit gras de se liquéfier, de s’amasser au fond du bidon et d’être plus facilement recueilli.

Cette activité qui ne paie pas de mine est pourtant encensée par les jeunes cyclistes qui s’y livrent car, grâce à elle, ils gagnent assez bien leur vie pour faire des économies et aider leurs familles. Yacouba Dagno en témoigne, à côté de son vélo, un bidon à la main et des vêtements sales sur le dos. Ce ressortissant de Narena, venu chercher du travail à Bamako,  est tombé sur ce business des bidons d’huile voilà moins de 10 ans. Il dresse, non sans fierté le bilan de cette petite décennie d’activités : « Pour un début, je me suis acheté une moto neuve. J’habite dans une petite pièce à raison de 5000 FCFA par mois et maintenant j’ai engagé mon projet de mariage ». Chaque mois, il s’efforce aussi d’envoyer au village 20 litres d’huile de sa provision pour la consommation familiale.

Pour écouler rapidement sa marchandise, il l’apporte directement au marché le plus proche. « Là, tu n’as pas besoin de faire du porte-à-porte pour vendre ton produit, car les femmes des marchés et les vendeuses de galettes en raffolent », confie-t-il. Et cela rapporte puisque le litre est cédé à 400 FCFA. Comme il se vend plusieurs litres par jour, le calcul est vite fait…

Une bonne affaire donc, mais qui n’est pas sans danger pour le consommateur, tempère la nutritionniste Dakono Suma Alexia. En effet, note-t-elle, ces résidus peuvent contenir des substances indésirables telles que des impuretés, des métaux lourds, voire des contaminants microbiens. De son point de vue, la consommation de ces substances peut entraîner des problèmes gastro-intestinaux, des troubles métaboliques et, dans certains cas, des risques accrus de maladies chroniques. Car, souligne-t-elle, ces résidus peuvent contenir des acides gras résultant d’un processus de fabrication inapproprié, et sont souvent associés à des risques accrus de maladies cardiovasculaires.

Attention donc à ne pas consommer de l’huile contaminée. Dakono Suma Alexia recommande aux consommateurs d’opter  pour des huiles de cuisson certifiées et de qualité alimentaire riches en acides gras essentiels et exempts de contaminants. Son conseil : pour la santé, s’en tenir à des huiles végétales d’olive, de tournesol ou de colza.

Fadi CISSE

Laisser un commentaire