Elles ont « plaqué » leur compagnon le jour de la célébration de mariage : de quoi faire le buzz sur les réseaux sociaux. Qu’est-ce qui peut causer ce phénomène qui prend de l’ampleur aujourd’hui ?
Eh oui, cela ne semble plus être un souci pour des jeunes filles de s’opposer au mariage le jour même de la célébration de leurs noces devant parents et amis.
Ce phénomène, qui fait immanquablement scandale, n’est pourtant pas nouveau. On se souvient, durant la présidence de feu le général Moussa Traoré, d’une histoire qui avait défrayé la chronique lorsque, devant le maire, une jeune fille avait suppléé au pied levé une autre qui venait de dire non à son fiancé, sauvant ainsi la noce et l’amour-propre du marié et de sa famille. Ce rebondissement avait tellement frappé les esprits et séduit en son temps le public qu’un pagne wax à l’effigie du couple inattendu fut imprimé et largement vendu sur les marchés de Bamako. Depuis, le phénomène avait disparu. Mais il a réapparu pour même s’amplifier avec l’avènement et la popularité des réseaux sociaux.
Les mairies de Bamako sont aux premières loges pour en témoigner. Cheick Fantamadi Traoré, officier d’état-civil au centre principal de la Commune III, confirme ainsi avoir déjà vécu cette situation. Selon lui, le dérapage est survenu parce que la jeune fille avait été menacée par ses parents avant de se plier au mariage. « Une fois à la mairie, lorsque je lui ai posé la traditionnelle question « acceptez-vous de prendre pour époux … », sa réponse a été non ». La « mariée », indique Cheick Fantamadi Traoré, lui a alors expliqué avec franchise le pourquoi de son désistement.


Ces explications lui ont fait saisir combien la pression des parents pouvait provoquer des situations regrettables. En sa qualité d’élu, il a par conséquent invité les gens à comprendre que les temps ont évolué. Auparavant, rappelle-t-il, le mariage se réglait par le biais des parents des conjoints sans prendre en compte le consentement de la fille. Cette dernière a, aujourd’hui, deux occasions d’exprimer publiquement ce consentement : le jour de l’enregistrement, puis le jour de la célébration.
« Dans les faits, constate l’édile, sous la pression, certaines filles acceptent l’union le jour de l’enregistrement mais le jour du mariage, elles se révoltent devant ce qui va être inéluctable ». A ce propos, il note que la loi est claire : le mariage forcé est interdit au Mali. « Nous sommes dans un pays où le social prime. Ce faisant, on pense qu’en vertu de nos réalités la fille doit s’aligner sur la parole de ses parents. Or le mariage est une question de choix personnel, pour souvent toute une vie. C’est pourquoi si elle n’accepte pas, personne ne doit la forcer », conseille-t-il.
Il y a cependant des cas de désistement où la future mariée n’a subi aucune pression pour se présenter devant le maire. Qui sont ces jeunes filles qui changent brusquement d’avis ? Cheick Fantamadi Traoré juge sévèrement ces revirements de dernière minute et estime que « cela n’est pas acceptable ». A ce propos, il invite les jeunes filles à la franchise et au courage pour ne pas devoir dire non devant tout le monde lorsqu’elles se retrouvent dos au mur.
Le sociologue Sidy Lamine Bakayoko tente d’analyser ces changements soudains d’avis à la mairie. C’est, de son point de vue, une façon pour les jeunes d’affirmer leur liberté de faire à leur guise et de le montrer car la nouvelle fera le tour du monde sur Tiktok et Facebook. « Sinon, constate-t-il, c’est beaucoup plus facile de renoncer à un mariage bien avant qu’une date soit fixée pour la célébration officielle, mais un tel refus ne sera pas remarqué par beaucoup de monde surtout le monde des réseaux sociaux ». C’est pourquoi, souligne-t-il, le fait de refuser seulement le jour du mariage à la mairie n’honore ni la jeune fille, ni sa famille, sans compter que le jeune homme est humilié et que l’institution du mariage est rabaissée par un tel acte. Sidy Lamine Bakayoko relève que le fait de se donner en spectacle à la mairie par un refus de dernière minute devant tout le monde donne un sentiment de pouvoir sur les personnes humiliées et, surtout, provoque le buzz sur les réseaux sociaux. Ce sentiment de toute puissance de disposer de soi et de refuser quand on veut est éphémère et a des conséquences sur la réputation de la jeune fille qui refuse, et sur celle de toute sa famille.
Cette situation interpelle tous les parents, réagit Tounkara Moudir Konta, élue municipale de Dravela, qui note combien les maires prennent soin d’exploiter chaque célébration pour multiplier les conseils aux jeunes et leur montrer l’importance du mariage. En dépit de cette sensibilisation, les incidents sont toujours d’actualité comme l’avoue notre édile : « tout dernièrement le cas s’est produit lors d’un mariage où j’officiais. Mais cela était lié à un problème de régime matrimonial. Dans les explications de l’époux, ils ont opté pour le régime polygamique lors de l’enregistrement. Le jour de la célébration la jeune fille a refusé et préféré la monogamie. En tant que maman et conseillère, j’ai essayé de la raisonner en lui montrant le registre où aucun couple n’avait signé pour le régime monogamique durant cette période ».
Oumou Diarra, dite Djema, conseillère matrimoniale et célèbre animatrice de l’émission 20/20, constate que ce comportement est source de grande humiliation pour les familles des deux conjoints. Elle redoute que cet acte pèse par la suite sur la jeune fille et ses descendants.
Si le mariage est un contrat qui permet à deux personnes de vivre ensemble et de s’entraider, deux questions viennent à l’esprit : pourquoi les hommes veulent-ils coûte que coûte épouser des femmes qui ne partagent pas leur point de vue et pourquoi les jeunes filles prennent-elles plaisir à se donner en spectacle devant le maire et les caméras ?
La réponse à ces questions renvoie à l’éducation que chacun reçoit de sa famille.
Fatoumata COULIBALY
