En cette période de travaux champêtres, malgré l’insécurité, des centaines de personnes affluent dans la localité située à 250 km au sud-ouest de Tombouctou, pour travailler dans les exploitations de riz, la principale ressource économique de la ville.
Le soleil se lève à peine que Lassine est déjà à la tâche. Courbé sur son tracteur agricole, les vêtements couverts de boue, il laboure un champ de riz comme il le fait à plein temps depuis le début du mois d’août 2023. Dès l’aube, il vient travailler au périmètre irriguée de Niafunké qu’on appelle ici « le périmètre de Goubo », en référence au village de Goubo, situé non loin de là. Avec des amis, tous venus du cercle Niono, ils s’attèlent à aménager cinq à dix hectares de champs par jour.
L’histoire de cet agriculteur de 30 ans rappelle celle du protagoniste du célèbre poème « Je suis venu chercher du travail » de l’écrivain camerounais Francis Bebey. Il a laissé femme et enfants au village pour se faire embaucher dans les rizières de Goubo. Ni l’insécurité résiduelle dans la zone, ni la température singulièrement élevée dans le septentrion malien, n’a dissuadé le cultivateur coriace de s’aventurer dans les terres aménagées de la ville du célèbre musicien Aly Farka Touré, confesse-t-il.
Comme lui, de nombreux saisonniers investissent la localité nordiste durant la saison des cultures pour labourer les terres et repiquer les plants de riz. Haut comme trois pommes, Idrissa Dicko, 13 ans, fait partie du lot. Sous un soleil de plomb, pieds nus enfoncés dans le sol boueux, il repique à une vitesse spectaculaire les jeunes pousses de riz dans le sol. En fait, il se démène pour suivre la cadence de ses cousines, Balkissa et Fadimata, qui progressent sur sa droite. Idrissa et les adolescentes qui ont le même âge que lui, font partie d’un groupe de travailleurs, majoritairement des mineurs, venus de Dagodji, un village martyr situé sur la rive droite de Niafunké où les djihadistes font la loi. « Malgré leur jeune âge, ce sont des gamins endurants qui travaillent vite et bien », atteste Amidou Yattara, propriétaire d’une exploitation de riz dans le périmètre de Goubo.
Ici, le travail des enfants n’est pas jugé prohibé. Particulièrement d’où viennent Idrissa et ses camarades : « un enfant qui ne travaille pas est traité de fainéant et hué par tous », explique Zakaria Dicko, frère ainé d’Idrissa et aussi chef de la bande. « A peine 12 ans déjà chez nous, l’on est contraint de travailler pour aider la famille », ajoute-t-il.
La contrainte est devenue plus pesante pour Idrissa et ses camarades depuis qu’ils sont privés d’école. Dans leur village victime du terrorisme, les salles de classe sont fermées depuis plus de trois ans. Ils seraient, d’après les chiffres de l’ONU datés de 2021, près de 500 000 élèves affectés par la situation. Dans ces zones, la charia des djihadistes a remplacé la loi fondamentale de la république. Par exemple, plus aucune distraction n’est tolérée à Dagodji, réputé pourtant, autrefois, pour être un village moderne.
Ainsi quand les jeunes cultivateurs traversent le fleuve pour aller travailler au périmètre de Goubo, ils apportent avec eux leur radio pour écouter de la musique au champ. « C’est la seule occasion dont nous disposons pour écouter des chansons, alors on en profite à maximum », s’écrie hilare Issa. Le garçon de 12 ans qui est le plus jeune du groupe, est aussi celui qui a le moins conscience de l’oppression qui s’est abattue sur leur village. « Avec son jeune âge, il n’a connu pratiquement que cela. Ne pas aller à l’école ou ne pas jouer au football par exemple, ne le dérange pas plus que cela. Son unique souhait est de continuer à percevoir les 1500 FCFA que lui procure chaque jour son travail de cultivateur », explique Zakaria, le chef du groupe.
Grenier
Avec plus de 370 hectares de sols arables, le périmètre rizicole de Goubo est le grenier de Niafunké. Chaque famille de la ville y cultive au minimum un demi hectare de terre. Les travaux d’aménagement ont été financés entre 2002 et 2004 par le Fonds international de développement agricole (FIDA) à travers son Projet de développement zone lacustre (PDZL). Celui-ci avait contribué à limiter l’exode rural en offrant du travail et des revenus aux jeunes de la zone. Ces dernières années, la rareté des pluies a réduit le rendement des récoltes et découragé les jeunes locaux qui délaissent de plus en plus l’agriculture. « De plus, travailler 8 heures par jour au champ pour un salaire de 1 500 FCFA, c’est à la fois trop dur et trop peu pour les adolescents de la ville qui sont habitués à présent à gagner plus dans des activités moins pénibles », explique Abdoulaye Maïga, membre du bureau chargé de la gestion du périmètre.

Pour trouver la main-d’œuvre dont ils ont besoin, les agriculteurs se rabattent ainsi sur des travailleurs étrangers, familièrement dénommés « mercenaires ». Ce vendredi 25 août 2023, cinq de ces « mercenaires » prennent d’assaut la pépinière d’Ibrahim Yattara pour y récupérer les plants de riz destinés à être replantés dans le champ du cultivateur. Mouneïssa, Fatty et Haleymatou, viennent de Horo (petite bourgade du cercle de Goundam), les deux autres, Ami et sa nièce Fadeye, arrivent du village de N’Gourouné à 6 km de Niafunké ville. Elles sont toutes issues de la communauté des Tamasheqs noirs appelés les Bellahs.
Fatty traine l’histoire la plus tragique. Veuve à 24 ans, elle a été chassée par sa belle-famille pour avoir refusé de se remarier avec le frère ainé de son défunt mari. Depuis, elle multiplie les petits travaux « de localité en localité pour subvenir aux besoins » de sa vieille maman et de ses deux enfants, confie-t-elle les yeux rivés sur sa petite fille allongée en bordure du champ.
Mouneïssa et Haleymatou, elles, avouent s’adonner aux travaux champêtres pour rassembler de l’argent qui servira à acheter des meubles pour le mariage de leurs gamines. Les trentenaires, aux silhouettes encore jeunes, envisagent d’envoyer leurs filles de 14 ans (déjà fiancées à l’âge de 7 ans) chez leurs époux à la fin de la récolte c’est-à-dire en décembre-janvier prochains. Tout comme elles, Ami (17 ans) et Fadeye (15 ans) rejoindront également leurs promis, « aventuriers » à Dakar, au Sénégal, avant fin 2023. « Nous achèterons des habits et des chaussures avec l’argent gagné ici pour compléter nos effets de mariage », annonce Fadeye, impatiente à l’idée de découvrir un autre pays et de rencontrer son fiancé qu’elle n’a encore vue qu’en photo.
Aly Asmane Ascofaré
