Initiation : les enfants de la même génération sont regroupés dans un camp pour être circoncis et ainsi passer à l’âge adulte. Après 15 jours de vie commune marquée par divers enseignements, la famille couronne leur sortie par une fête…
Jeudi matin, il n’est que 5h20 au quartier Abaradjou à Tombouctou. A l’heure de la prière du fadjr, des baffles répandent des airs de takamba (genre musical du terroir) dans la ville des 333 saints. « Mais qu’est-ce qui se passe ? », sursaute la jeune Binta Touré qui passe ses vacances chez sa tante. L’étonnement de l’adolescente d’une quinzaine d’années provoque les rires de ses petits cousins allongés pour profiter de l’air frais qui baigne la cour de la concession.

« Ici à Tombouctou, c’est comme ça tous les matins, pendant les vacances. Tu le constateras toi-même avant ton départ. Il y a toujours de l’ambiance et du social qui réunit les gens », réagit l’un d’entre eux en précisant que la musique annonce la sortie de plusieurs jeunes garçons qui viennent d’être circoncis. Il faut, commente un cousin, une grande fête pour marquer l’affaire ! A la fois captivée par les explications et intriguée aussi, Binta s’empresse de demander à sa tante l’autorisation de prendre part à l’événement. Celle-ci lui conseille d’attendre le petit matin, lorsqu’il y aura du monde. Après avoir déjeuné, Binta enfile sa plus belle robe en bazin et des chaussures à talons. Munie d’un petit sac à main, elle prend le chemin des réjouissances en compagnie de ses cousins qui connaissent bien les coins et recoins de la ville.
Dans les rues, ils croisent et côtoient des gens qui émergent des ruelles, arborant leurs plus beaux atours. Les femmes portent les parures caractéristiques de leurs ethnies (sonrhaï, tamasheq, maure et arabe). Les hommes sont drapés dans de grands boubous, la tête et le cou couverts par un turban assorti. C’est la famille Touré qui reçoit les invités du jour. Une dizaine d’enfants circoncis de 10 à 15 ans déjà là, sont vêtus de bazin blanc et coiffés de bonnets rouges. L’œil attendri, la mère d’un de ces garçons calcule que quinze jours ont été nécessaires pour que les enfants se rétablissent afin de vivre cette cérémonie qui consacre leur passage au statut d’adulte. « Ce n’était pas facile au début. Certains d’entre eux pouvaient supporter la douleur tandis que d’autres nous réveillaient à des heures tardives parce qu’ils avaient trop mal », précise Oumou, visiblement heureuse de vivre ce grand rituel.
Pratique traditionnelle
Soucieuse d’expliquer le sens de l’événement, la maman d’une trentaine d’années poursuit : « C’est une tradition qui était pratiquée par les vieilles pendant les vacances, lorsque l’enfant ne va pas à l’école. On rassemble tous les enfants de la même génération dans la famille pour éviter des dépenses multiples ». Ceux-ci logent alors sous le même toit durant les 15 jours de la période d’initiation. Et la famille égorge au moins un bélier chaque semaine pour nourrir les jeunes « patients », souligne Oumou qui constate : « Ce genre d’évènement nécessite beaucoup de moyens car on fait recours à des cuisinières pendant ce moment sacré. Les enfants habitent dans le camp, spécialement organisé à cet effet, sous la supervision d’un tuteur. Ce maître leur apprend beaucoup de choses sur la vie courante afin qu’ils soient des hommes prêts à endurer toutes sortes d’épreuves. Il leur apprend aussi des chansons. Il s’agit de faire de ces jeunes des hommes forts qui n’auront pas peur dans le futur ».
La nourriture n’est pas qu’intellectuelle et civique car, indique notre interlocutrice, les jeunes circoncis doivent manger plusieurs fois par jour jusqu’à leur sortie du camp d’initiation. Si bien qu’au terme du rituel et du repos (physique) qu’il impose, les gens s’aperçoivent qu’ils ont grossi et affichent un teint luisant. « C’est une grande fierté pour nous de voir nos enfants devenir des hommes. D’où cette fête grandiose dont on a hérité et dont la relève sera assurée par nos descendants », note-t-elle en relevant que les filles aussi avaient droit à un cérémonial similaire avant que l’excision ne soit abandonnée à la suite des multiples dénonciations de ses conséquences sur la santé et l’intégrité des jeunes filles.
Hassey figure parmi les nouveaux circoncis. Le garçon de 11 ans témoigne avoir aimé ce moment passé en compagnie de ses frères. « On cause beaucoup pendant cette phase d’initiation. On nous racontait des histoires anciennes. Nous mangions à notre faim sans être commissionné sous le soleil. C’était juste inoubliable et si c’était à refaire, j’accepterais », assure-t-il en rigolant. Ces mots suscitent la grimace de son frère Sékou qui, lui, garde un vif souvenir de la douleur ressentie : « J’avais très mal les soirs avant que je ne guérisse. Tous les autres dormaient sauf moi. Quand même, j’ai adoré les repas de qualité qu’on nous servait tous les jours, comme les sauces de poulet et viande de mouton ». « Moi, j’ai le plus apprécié nos promenades sur la dune de sable dans la fraîcheur du soir en compagnie de Tonton Souley qui chantait », s’écrie Aliou, le cadet du groupe qui vient d’avoir 10 ans. Leur mentor qui avait de la peine à les voir souffrir de douleurs intenses, se réjouit aujourd’hui de leur guérison et du sourire sur leurs visages.
Pour la fête, deux grandes toiles bâchées sont tendues à la porte d’entrée et de nombreuses chaises installées. On danse et on applaudit beaucoup. Les griots font pleuvoir des éloges sur une assistance qui les remercie par une distribution ininterrompue de billets de banque. Les cadeaux affluent de partout pour les garçons, des pagnes wax, du bazin et aussi des enveloppes. A cela s’ajoute de copieuses bassines de nourriture apportées par des amis proches des parents. La parolière Halima fait sensation avec les louanges adressées à pleine gorge à la famille Touré. Elle chante et danse avec un tel entrain qu’elle laisse à peine le temps à la poussière soulevée de retomber sur ses pieds. Le spectacle est si animé et captivant qu’une vague de présents et d’argent récompense l’artiste, faisant quelques jaloux chez ses pairs.
Après avoir repris son souffle, Alima a le triomphe modeste et explique que les jours que l’on ne vit qu’une fois dans son existence méritent d’être célébrés. « Depuis mon enfance, mes parents ne laissaient pas passer l’occasion de prendre part à de telles célébrations. J’ai hérité de cela et les nobles doivent naturellement nous faire plaisir par des cadeaux, même si l’on ne se connait pas. Donc, pas question de rater un tel événement », assène la quinquagénaire visiblement heureuse d’avoir participé à la réussite du jour.
La fête n’est pas terminée pour autant. C’est un copieux déjeuner collectif qui y met le point final.
Fadi Cissé

Ce reportage a été publié dans L’Essor du 16/08/2023
