Djiré Mariame Diallo : la maire en sa commune

Enseignante, leader de groupements féminins, et maire : pour l’actuelle élue de la Commune III de Bamako, le choix a été d’affronter les défis. Et de montrer que dans un monde politique dominé par les hommes la femme a toute sa place. Les difficultés n’ont pas manqué…

Une journée dense en activités, comme souvent. A peine rentrée du lancement d’un nouveau projet sur l’autonomisation des femmes dans sa commune, Madame le maire enchaine avec une interview dans son bureau. A côté, un groupe de femmes âgées discute, l’air éreintées. Le soleil n’est pas clément aujourd’hui. Djiré Mariame Diallo, elle, tient bon : frêle d’apparence mais l’air solide et décidée, un voile lui couvrant l’épaule, son écharpe tricolore en bandoulière, elle parle d’une voix monocorde et douce. Son bureau est couvert de dossiers, une pile également posée sur une chaise, elle se tient devant une bibliothèque noire remplie de papiers administratifs et de livres soigneusement rangés.

Depuis 2016, elle est maire de l’emblématique Commune III du District de Bamako, au cœur de Bamako où se situe le célèbre et historique Boulevard de l’indépendance. C’est sur ce boulevard que les plus grandes manifestations se tiennent, et on ne peut oublier la marée humaine autour du M5-RFP, venue demander il y a 2 ans le départ de feu Ibrahim Boubacar Keita.

IBK avait émergé à la faveur du mouvement démocratique de 1991, et c’est la période où Mme Diallo, se lance dans la politique. « Les gens avaient soif de changement. Toutefois, la société n’avait pas une bonne perception des femmes impliquées dans les mouvements politiques », se souvient-elle. Un engagement politique voulait dire pour une femme participer à des réunions tard dans la nuit, être toujours entourée d’hommes, être absente de son foyer et moins disponible pour l’éducation des enfants. Tout ce qui va à l’encontre de la place et du rôle traditionnels de la femme dans la société malienne.

Mariée en 1977, son engagement est « difficilement compris par le partenaire au début », mais avec le temps « la confiance se crée, on apprend et au fur à et mesure que le temps passe, on se corrige ». Aujourd’hui, toute sa famille la soutient dans l’arène politique.

Selon la législation du Mali, ‘’les hommes et les femmes naissent égaux et jouissent des mêmes droits et devoirs devant la loi’’, ce qui est une raison suffisante pour que les femmes s’impliquent dans la gestion de la Cité. Pour Mariame Diallo, la femme se doit de faire de la politique, où mettre en œuvre un état d’esprit, des idées, des réflexions, tout un potentiel dont elle dispose. Alors que, reconnaît-elle, penser et agir en politique est traditionnellement dévolu au sexe masculin. « Le sacerdoce qu’exige cette profession a été le levain qui a fait ma vie », soutient-elle.

Mariame Diallo est ou a été membre de plusieurs groupements féminins, dont la Coordination des Associations et ONG féminines du Mali (CAFO) où elle a été formée au leadership ; elle est présidente du Mouvement des femmes de la commune III ;  présidente du Réseau des femmes conseillères municipales du Mali (REFCOM).

Un parcours de conviction

Et c’est à une femme, sa mère, qu’elle doit son entrée à l’école, alors que son père, Toumani Diallo, chef de quartier de Ouolofobougou, ne voulait pas en entendre parler.  Elle rend hommage à cette mère, Salimatou Diakhon, une ménagère qui a « vite su l’importance de l’éducation de la fille ; plus tard elle  ne s’est jamais opposée à mes activités politiques… C’est elle qui m’a inscrite à l’école » dit-elle. Son père décédera quand la toute jeune Mariame Diallo est en classe de 4e année, et sa mère la confie à un de ses frères enseignant muté à Kita. Elle-même deviendra par la suite enseignante, enseignera l’Économie familiale au Lycée de Jeunes Filles, actuel Lycée Ba Aminata Diallo. Lui est-il arrivé d’avoir peur de l’échec ou de ne pas être à la hauteur ? « Jamais », rétorque-t-elle !

L’idéal qui l’a de tout temps guidé est de consacrer son action à fonder une communauté humaine riche des valeurs séculaires du Mali. Son parcours, lui, s’est effectué pas à pas. A la fin des années 90, elle embrasse la carrière d’élue, et de 1998 à 2003 est conseillère communale, 2e adjointe au maire de la Commune III (chargée des affaires économiques et financières). Dès 2002, des voix l’incitent à se présenter aux communales. « J’ai décliné car je n’étais pas prête ». De 2004 à 2009, elle est 4e Adjointe au Maire chargée de l’éducation, de la santé, des affaires sociales et religieuses. Puis, de 2009 à 2016, 3ème adjointe. Enfin vient 2016 : son parti, l’ADEMA-PASJ, la présente pour succéder à Abdel Kader Sidibé, elle est élue maire de sa commune.

Aux rênes de la Commune III, les premières difficultés lui font face : pas d’électricité à la Mairie, les caisses sont vides, les salaires impayés… Il fallait donc « se serrer la ceinture ». Les premières dispositions sont prises : réduire le train de vie et assainir (audit, état des lieux), arrêt de toutes les opérations sur le foncier. Des conflits ont éclaté, certains étaient déjà en gestation. « Ce n’était pas du goût de tous, mais avec de la patience et de la persévérance, nous avons pu obtenir des résultats », se remémore-t-elle.

Un défi est de montrer que la mairie peut tenir sans les gains issus du foncier. Une bonne organisation, une bonne maîtrise des recettes et des dépenses lui ont permis de redresser la barre. Les ressources dès lors proviennent d’une partie des patentes que payent les commerçants, des actes de naissance ou de mariage délivrés, de la taxe de développement régional et local (TDRL). Pour plus de transparence (« la redevabilité est à la mode », sourit-t-elle), Mariame Diallo procède chaque année à une restitution des comptes.

Kagnin Sanogo est collaborateur du maire depuis 8 ans et secrétaire général de la Mairie. « Elle est très exigeante, méticuleuse et rigoureuse. Il est souvent difficile pour l’équipe de suivre son rythme, les visages se froissent souvent, mais quand on voit le résultat de tout le travail abattu et les sacrifices qui vont avec, on ne peut qu’être fiers de nous-mêmes, d’abord, et fiers de son leadership ». D’ailleurs, pour la bonne tenue des élections référendaires du 18 juin, la distribution des cartes d’électeurs et la mobilisation massive des habitants de la Commune III, les autorités l’ont félicitée.

Très souvent, Bamako est décrite comme sale, envahie de déchets ménagers. Un problème complexe pour nombres d’élus et responsables communaux. A la Commune III, un Plan d’engagement communautaire est lancé en fin 2022. Chaque semaine, un parrain est désigné pour accompagner et sensibiliser les populations sur la gestion des ordures. On prend l’exemple de cette mobilisation des jeunes de Badialan, qui procède régulièrement au curage des caniveaux et à la collecte des déchets. Ibrahim Djikiné est membre de l’association des jeunes pour le développement du Badialan I, et il considère que la salubrité et l’assainissement de leur quartier incombent aussi aux habitants, c’est pourquoi ils s’organisent avec les moyens du bord, en attendant de meilleures solutions. Que fait la mairie ? « Du matériel et des camions pour la collecte des déchets sont déjà commandés, avec l’appui de l’État », assure Mariame Diallo.

Il faut aussi mobiliser des ressources externes, et c’est ainsi que la mairie collabore avec des partenaires comme l’ONG Mali-Folkcenter Nyetaa, pour créer des d’emploi verts pour les femmes et jeunes. Il y a aussi un projet écologique pour réduire l’émission de gaz à effet de serre à travers la mobilité dans les transports publics :  des motos et tricycles électriques, rechargeables à l’énergie solaire.

Ce projet et d’autres sont une fierté pour son neveu, Bachir Diallo. « Elle est toujours sur un nouveau projet. Entendre les gens dans la rue parler de son intégrité morale et sa probité fait d’elle un exemple pour nous, ses enfants », dit Bachir, le jeune homme s’occupant de sa communication en bénévole.

Des mécontentements et des polémiques, il y en a eu. Mme Djiré Mariame Diallo évoque volontiers la campagne de protestation, lancée en 2021 par Africa Scène, organisateur de l’événement Bama’Art à la Place du Cinquantenaire. De gratuite, l’occupation devient payante et la facture augmente. Résultat, sur les réseaux sociaux on accuse la maire de vouloir détruire les initiatives des jeunes, les critiques pleuvent. Elle reste imperturbable. « L’objectif est et reste de soutenir la création d’emplois et aussi faire rentrer quelques sous dans nos caisses, mais quand on ne respecte pas les engagements pris et quand on monopolise l’espace public à son seul profit, ça ne marche pas avec moi ».

C’est le moment de se séparer, deux collaborateurs viennent de rejoindre le maire. Une pile de dossiers à évacuer les attend. L’après-midi s’annonce chargée.

Oumar SANKARE

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