Comment mesurer la situation des populations du centre, soumises notamment au défi de l’insécurité ? C’est en travaillant sur la durée avec des groupes-témoins, régulièrement interrogées, qu’une étude a permis de cerner comment cette situation évolue et comment les habitants perçoivent les changements.
Une rencontre, le 14 juin 2023 à l’hôtel de l’Amitié, a présenté les résultats du projet « Mali-Centre pour la sécurité et le développement » financé par l’Union européenne, projet qui vise à accompagner les efforts de stabilisation et de développement dans les régions du centre du Mali. Il s’agissait de partager les principaux résultats et recommandations de douze enquêtes de perception menées entre 2019 et 2022 et, d’autre part, de permettre un dialogue entre les partenaires nationaux et internationaux, les organisations de la société civile et chercheurs travaillant ensemble à la stabilisation du centre du Mali. Les maîtres d’œuvre de ce projet sont le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) et Point Sud « Muscler le savoir local ».

Les enquêtes ont été menées auprès d’un échantillon de 1800 enquêtés dans quatre régions (Ségou, Bandiagara, Mopti, Douentza), dont 50% d’hommes et femmes, 58% d’adultes, 42% de jeunes/Parmi les autres chiffres significatifs : 95% sont résidents des régions concernées, 18% sont des urbains et 82% des ruraux, avec 56% d’agriculteurs, 11% de commerçants, 4,6% de salariés, 2,4% d’éleveurs et 1,4% de pêcheurs.
Sur une telle diversité, les statistiques globales ont-elles un sens ? Selon Virginie Baudais, directrice du programme Sahel et Afrique de l’Ouest du SIPRI, « la perception de l’amélioration de la situation sécuritaire s’est accrue d’une manière générale sur le plan national. Mais quand on regarde au niveau des cercles les réalités sont totalement différentes. A Ténenkou, Bankass et Mopti les perceptions sont très différentes d’un cercle comme Baraouéli. ». Entre deux localités proches, les résultats peuvent être très différents « parce l’une a des services sociaux et l’autre non, des autorités administratives ou non, dans un cas les gens peuvent se rendre dans leur champ ou au marché hebdomadaire ou non, etc. »
Ce qui est intéressant dans cette recherche, pour Virginie Baudais, c’est qu’il y a des résultats globaux mais aussi des éléments de recherche qui permettent d’aller dans les détails des localités, sur base d’un échantillon scientifiquement établi. Autrement dit, ces échantillons peuvent servir les acteurs du développement et de l’humanitaire. Et aussi, souligne-t-elle, l’avantage d’avoir mené des enquêtes tous les 3 mois auprès du même échantillon est qu’on voit les évolutions pendant 4 ans de manière régulière.
« Ces données arrivent à point nommé » estime Mohamed Lamine Haidara, secrétaire permanent du Cadre politique de gestion de la crise au Centre. Pour lui, il faut s’attaquer aux fragilités structurelles et renforcer les mécanismes de coopération régionale, soutenir et renforcer les capacités des États, l’amélioration de la gouvernance qui prend en compte les besoins de la population, et aussi encourager l’appropriation des résultats des enquêtes par les communautés locales grâce à la prise en compte des données locales, des perceptions et des représentations des populations. Le partage des données entre acteurs présents au centre Mali et hors du Mali est « indispensable pour nous aider à relever le défi de l’insécurité ».


Des données qualitatives et quantitatives pour un retour vers la paix
Pour Dr Hamidou Magassa, socio-économiste, cette restitution de deux institutions de recherches du Nord (SIPRI) et du Sud (POINT SUD) est inédite. « Des données qualitatives et quantitatives ont été collectées dans le centre du Mali. Le défi est de mettre ces données en valeur par les responsables politiques. » Toutefois, Dr Hamidou Magassa rappelle que la résolution de cette crise « ne pourra se faire sans dialogue, sans communication. »
Ce projet est une contribution de l’Union Européenne aux efforts de stabilisation et de développement des régions du Centre, dans l’objectif d’y voir venir un jour la paix, et la stabilité a rappelé Pascal Perennec, chargé d’affaires de la Délégation de l’Union européenne au Mali. « Grâce aux travaux entrepris par SIPRI et Point Sud, notre compréhension sur le rôle des autorités traditionnelles, le système de santé, ou encore les enjeux d’éducation a fait de nombreux progrès et notre action au service des populations maliennes a pu être adaptée et à l’écoute des toutes les réalités locales » a-t-il ajouté. L’Union européenne est présente au Mali depuis 1958 et soutient le pays dans divers domaines, que ce soient l’environnement, les infrastructures routières, l’aide humanitaire, l’appui institutionnel et la culture, entre autres.
Oumar SANKARE



Quelques recommandations formulées :
- Encourager la collaboration entre les autorités traditionnelles et coutumières et les autorités élues afin de consolider les mécanismes locaux de gouvernance.
- Soutenir les initiatives des communautés locales visant à assurer un fonctionnement des services d’intérêt général. L’accès aux services sociaux de base et leur maintien, répondant aux principes d’égalité et d’inclusivité, est une politique prioritaire d’autant plus que l’insécurité isole les communautés les unes des autres.
- Renforcer les liens entre l’armée et les populations civiles afin de lutter contre l’insécurité. La proximité des forces armées, avec des patrouilles régulières et une meilleure réactivité, est une exigence essentielle pour la protection des populations à conditions que les forces soient formées au respect des droits humains.
- Appuyer les politiques visant à développer les territoires et à créer des opportunités d’emplois locaux, en particulier à destination des jeunes et des femmes. L’absence d’opportunités économiques et l’insécurité alimentaire sont désignées par les populations enquêtés comme principales menaces.
- Maintenir les services administratifs, scolaires, médicaux et sociaux fournis par l’Etat, ainsi que leurs personnels, afin d’en garantir l’accès des populations. L’Etat est attendu par les populations : il doit être en mesure de jouer son rôle régalien, de protéger les populations que ce soit au niveau sécuritaire, économique ou politique et être le garant du contrat social.
- S’assurer que les politiques de développement et de stabilisation s’inscrivent dans les contextes locaux et qu’elles sont conçues par, avec et pour les l’Etat et les populations qu’elles doivent servir.
La BD de sensibilisation produite par le projet (extrait)
Production : Georges Foli, Bruno Léon, Adama Bah, Edition Seyma

