C’est ce que beaucoup d’étudiants semblent avoir compris. Ils s’inscrivent à la fois dans les universités publiques et privées afin de diversifier leurs compétences.
Matinée calme et relativement tempérée. Située à Sogoniko, en commune VI du district de Bamako, la Faculté des Sciences administratives et politiques est inhabituellement moins bruyante. À pas feutrés, quelques étudiants déambulent dans la cour. Présent en grand nombre, le personnel administratif aidé des ouvriers est à pied d’œuvre. L’administration s’apprête à regagner la colline du savoir, sise à Badalabougou, murmure un d’eux. Il ajoute : «C’est là qu’elle déménage après les examens.»
Vers ce dernier se dirige Bintou Founè Traoré, étudiante qui fréquente à la fois cet établissement public et une université privée de la place. Dans l’étroite cour où nous la rencontrons, elle vient prendre des informations. Son choix de s’inscrire dans un établissement privé, elle le justifie par le fait que ces universités aident leurs étudiants à avoir un stage, voire même un emploi, au terme de leur formation. En conséquence, pense Bintou, la chance d’avoir un emploi salarié à la fin de l’apprentissage est assez élevée. Alors qu’avec le diplôme obtenu dans le public, où la formation est souvent loin d’être compatible avec le marché de l’emploi, il est très difficile de trouver même un simple stage, à plus forte raison un emploi. « Une de mes amies a abandonné la faculté pour faire communication dans une université privée », indique-t-elle.

Pouvoir décrocher un emploi
Mme Doumbia Aminata Diarra étudie également le journalisme et la communication à l’École supérieure technologique et de management (ESTM). Rencontrée un après-midi devant sa classe, elle explique : « J’ai décidé de suivre cette formation car je suis sûre de pouvoir décrocher un emploi à la fin de ces étudies ; l’école accompagne ses étudiants afin de faciliter leur insertion professionnelle.»
Ce phénomène s’est diffusé, contaminant les étudiants résidant à l’intérieur du pays. C’est par exemple le cas de Daouda Abdramane Magassouba. Cet habitant du quartier de Pélengana est étudiant en classe de 1ère année de Sociologie à l’Université de Ségou. Parallèlement, il fait la 2ème année de droit public à l’Institut de gestion et de langues appliquées aux métiers (Iglam) de Ségou. Objectif : échapper au chômage, une fois le sésame en poche.
Grand et mince, le jeune étudiant enchaine des journées marathon qui débutent à 8 heures pour s’achever à 21 heures. À moto, il quitte son Pelengana natal le matin pour se rendre à Sébougou puis à Angolem, dans l’après-midi. «Ce n’est pas si difficile de suivre les deux formations à la fois. À l’université de Ségou, les cours se déroulent de 8 heures à 14 heures. Le soir (17 heures à 21 heures), c’est le tour de l’IGLAM», explique le jeune Magassouba, sourire au coin. L’objectif visé en cumulant ces deux formations, c’est de pouvoir décrocher un emploi à la fin de ces formations, répond-il, reconnaissant tout de même ne pas être à 100% sûr d’atteindre ce but.
Selon le rapport de l’Observatoire national de l’emploi et de la formation (Onef), le taux de chômage des jeunes de 15 à 40 ans s’élevait à 10,3%. Il était de 16,9 % pour les jeunes âgés de 15 à 40 ans, contre 7,3% pour ceux dont l’âge est compris entre 25 à 35 ans et 2,9 % pour les 36 à 40 ans.
Cette situation semble préoccuper des parents, qui partagent les inquiétudes et angoisses de leur progéniture. Assise au bord du goudron, Wassa Traoré vend de la friperie au marché de Magnambougou. « Nous encourageons les enfants à suivre différentes formations à la fois parce que nous ne souhaitons pas qu’ils chôment. C’est, certes, fatiguant mais nous les encourageons et les accompagnons pour ce faire », ajoute-t-elle.
Pour certains parents, il s’agit d’aider l’enfant à mieux se préparer à la vie professionnelle en emmagasinant de solides savoirs intellectuels. C’est ce que soutient Amara Sylla qui trouve la formation nécessaire à la vie de l’Homme. «Une jeunesse formée, c’est une jeunesse capable. Si l’enfant est appuyé, son sort est à l’avantage de la famille», explique-t-il. Pour cela, il se dit prêt à tous les sacrifices financiers. «La formation ne peut pas être abandonnée parce qu’elle est chère. Si j’ai les moyens, rien ne m’empêche de financer les études des enfants surtout en matière de formation continue», tranche Amara Sylla.
Formation adaptée aux besoins
Comme pour ferrer davantage les parents, tel Amara Sylla, les structures privées adaptent leur formation au marché de l’emploi. À l’Université privée Ahmed Baba de Bamako, l’offre de formation est parfois liée aux besoins des entreprises, que l’établissement approche pour ce faire. Par exemple, les filières mine, pétrole et génie industriel y ont été intégrées pour répondre aux besoins des sociétés minières et bureaux spécialisés opérant dans ces secteurs.
À l’École supérieure de management et de technologie, le choix des filières se fait selon trois critères. La priorité est accordée aux filières proposées par les partenaires belges et marocains, en tenant compte du contexte malien. Ensuite, en fonction des besoins des entreprises en termes d’emplois à pourvoir. Et enfin en tenant compte des cahiers des charges proposés par l’État malien pour la reconnaissance des diplômes.
Qu’en pensent les spécialistes ? Interrogés à cet effet des pédagogues disent n’y voir aucun inconvénient. «Ils se demandent pourquoi ne pas choisir une autre filière pour multiplier leurs chances d’avoir un emploi. Ce choix ne peut que faire du bien à l’étudiant en question. Il lui permet par exemple d’approfondir son savoir et de diversifier ses compétences », analyse l’inspecteur général de l’Education nationale Denis Dougno, qui estime que les performances dépendront du courage et de la persévérance de l’étudiant.
« S’il doit s’attacher aux deux filières, l’élève peut le faire et ça ne peut être qu’avantageux pour lui», confirme Mme Takiba Sissoko, professeur de français.
La Direction générale de l’Enseignement supérieur dit suivre de près ce phénomène mais reconnaît n’avoir pas encore fait une analyse approfondie de la situation. C’est ce qu’explique le sous-directeur des Affaires académiques et de la Coopération, Moussa Tamboura. Toutefois, précise-t-il, «le département n’a pas de mesures à proprement parler contre ce phénomène parce qu’on est libre de se former. Tout ce qu’on peut interdire, c’est d’être dans deux facultés de l’État en même temps».
Par ailleurs, Moussa Tamboura révèle une réévaluation en cours des offres de formations pour résoudre le problème de l’inadéquation entre la formation et l’emploi afin de rendre les universités publiques plus attractives. Pour ce faire, explique-t-il, il est prévu que chaque formation proposée par nos institutions d’enseignement supérieur et de recherche ait des débouchés. Dans cette perspective, les futurs étudiants seront informés des différents débouchés pour chaque filière avant de s’inscrire à l’université. Un accent particulier sera mis sur les domaines stratégiques où le pays n’a pas assez de spécialistes. Le but étant d’avoir des ressources humaines compétentes et bien formées dans tous les domaines.
Assan TRAORÉ

Ce reportage a été publié par le journal Reporter, le 11/04/2023
