Minkoro Kané (membre du CNT) : une volonté d’excellence

Perfectionniste, engagé, adepte du franc-parler, le général de brigade à la retraite Minkoro Kané a vécu toutes les crises sécuritaires traversées par notre pays lors des quarante dernières années. Il porte sur celles-ci des jugements tranchés.

Extérieur ensoleillé, chaleur suffocante, soleil ardent. Il est 15 heures en cet après-midi de mars. Le général Minkoro Kané nous accueille dans un salon situé au premier étage de sa maison. Les murs de cet espace sont couverts de photos de diplômes et d’attestations retraçant la carrière de l’officier. On remarque aussi le portrait en noir et blanc d’un homme plus âgé que notre interlocuteur, certainement le patriarche de la famille. Notre hôte installe l’équipe de reportage sur le balcon, là où nous pouvons échanger sans être dérangés.

Haute taille, carrure imposante, loquace et affable, le sexagénaire (il est né vers 1957 à Garalo dans la région de Bougouni où il a passé sa tendre enfance) met rapidement à l’aise l’intervieweur. Il rappelle avec une certaine émotion sa prime jeunesse : l’enseignement coranique suivi jusqu’à l’âge de 6 ans, puis ce que l’on appelait à l’époque « l’école des Blancs », sa participation très tôt aux travaux champêtres comme gardien des champs et surveillant du parc à bétail familial. Toute une enfance que l’officier juge comblée et qui, selon lui, ne pouvait que le mettre sur la bonne voie. « L’excellence est une question de volonté », assure Minkoro Kané. Cette conviction lui a été inculquée par son père, El Hadj Babou Kané, qui a assuré l’éducation religieuse de ses enfants et celle d’autres venus d’ailleurs. Le chef de famille a aussi fait assimiler aux siens le respect dans leur vie quotidienne des principes de justice, d’équité et générosité envers à autrui, générosité prodiguée dans la mesure du possible.

Notre interlocuteur fut confronté à d’autres réalités de la vie lorsqu’il fut envoyé à Koumantou pour poursuivre sa scolarité. Beaucoup d’enfants ont certainement vécu comme lui le manque de nourriture chez leurs logeurs, ceux-ci étant, pour certains, démunis. « J’étais chargé d’apporter leur repas de midi à ceux qui travaillaient aux champs. S’il restait quelque choses après qu’ils aient fini, je mangeais. Dans le cas contraire, je retournais en classe le ventre vide ». Une situation qui ne l’a pas empêché d’être parmi les meilleurs de sa classe. Mais son père ne pouvait s’accommoder de cette situation émaillée de privations et le fit partir pour Bamako chez son neveu, feu Amidou Kané, chez qui le futur officier boucla le cycle fondamental. Orienté au lycée de Badalabougou, Minkoro Kané demanda son transfert au lycée Prosper Kamara qui, à l’époque, disposait d’une bibliothèque bien garnie.   

Quand nous demandons à notre interlocuteur ce qui l’a poussé vers une carrière militaire, il répond en souriant : « Je suis presque né avec le goût de l’armée et l’amour des armes. J’en rêvais ». Le vrai déclic se déclencha à l’âge de 13 ans lors d’une manœuvre militaire dans son village natal et lorsqu’un militaire lui fit tirer au canon. « Ce jour-là ma conviction s’est définitivement ancrée », nous indique notre vis-à-vis. Pour être sûr que la maitrise de son destin ne pourrait lui échapper, il se rendit en 1969 à l’État-major pour en rencontrer le Chef. Demande peu usitée qui le fit promener de bureau en bureau avant de finir tout de même dans celui qu’il recherchait. « C’était Boucary Sangaré, se souvient l’officier.  Je ne me rappelle plus exactement de son grade. Il était soit commandant, soit lieutenant-colonel. Je lui ai dit que je voulais entrer dans l’armée. Il m’a suggéré de terminer le lycée et de faire ensuite le concours d’entrée à l’Ecole militaire inter-arme pour devenir officier ».

Schéma suivi à la lettre : l’élève Minkoro passa en 1972 d’abord son baccalauréat, puis le concours d’entrée à l’EMIA de Kati. La formation commença le 1er octobre 1972 et devait se terminer 16 octobre 1975. Mais elle fut interrompue en 1974 par la guerre Mali-Haute-Volta.  Les élèves-officiers furent mobilisés. Minkoro Kané rejoignit le front au sein des unités de combat du Groupement temporaire N° 2 basé à Gossi. Après deux mois, le groupement replia sur Gao et l’élève-officier fut affecté aux unités du Groupement opérationnel temporaire N° 1 en qualité qu’adjoint au commandant de compagnie. Après neuf mois au front, il retourna sur les bancs pour terminer son cycle de formation.

Notre interlocuteur ne le cache pas. Cette guerre entre pays africains lui « faisait honte ». « A l’époque, je ne pouvais pas comprendre que des Africains se fassent la guerre alors que l’ennemi commun était l’ancien colonisateur et ses envoyés. Ils ont rendu sciemment litigieuse cette frontière héritée de la colonisation et nos chefs d’État sont tombés dans le piège. Ils ne réfléchissaient pas suffisamment. Ils avaient hérité de quelque chose qu’ils auraient dû immédiatement remettre en question, car la situation portait en elle les germes d’une future division », juge non sans sévérité l’officier.

Le général ne cache pas que de nombreux aspects de sa vie personnelle, même s’ils n’ont rien de militaire, tournent autour du camp. C’est dans un camp militaire qu’il a rencontré sa première épouse. Cette dernière est la fille adoptive d’un officier résidant dans le camp et chez qui Minkoro Kané passait après ses heures de service. « La vie dans le camp, elle la connaissait déjà », commente-t-il avec une pointe de taquinerie. Les enfants, au nombre de quatorze dont cinq garçons, ont, eux également, grandi dans le camp militaire. Toutefois, le général a tenu à les tenir éloignés de la vie militaire le plus longtemps, cela pour des raisons « personnelles » et « de sécurité », nous indique-t-il sobrement.

Le chef de famille

La communication au sein de la famille est une tradition qu’il a développée. Ses enfants n’hésitent pas à venir à lui pour toutes les décisions importantes à prendre, et notamment celles concernant leur carrière. « Ils ont été témoins des peines, des difficultés, des déceptions et des périodes d’amertume que j’ai vécues, se remémore notre interlocuteur. Bien que pour les protéger, je leur ai caché certaines choses ».  Ce n’est que récemment avec l’amélioration de la situation de l’armée que l’un des enfants a intégré l’armée, un autre la protection civile tandis qu’une des filles est entrée dans la police.

Pas plus qu’avec ses enfants, le général ne se montre prolixe avec nous sur les déconvenues essuyées dans son parcours d’officier. Il n’est pas du genre à récriminer a posteriori. Tout juste s’il fait allusion, alors qu’il était en poste à Anderaboukane, à certaines réalités aux antipodes de toutes les valeurs inculquées en famille.  De quoi se remémorer ce dialogue avec chef d’Etat-major de l’armée de terre de l’époque. « Pourquoi voulez-vous intégrer l’armée ?» lui avait demandé l’officier. Sans hésiter, Kané avait répondu : « Je pense que c’est dans l’armée que les intérêts de la justice sont les mieux garantis et défendus ». Il eut, hélas, l’occasion de vérifier que n’est pas toujours le cas.

Missions de paix

S’il y a des questions pour la gestion desquelles le général dispose d’une expertise indiscutable, ce sont bien les missions de maintien de la paix. Sa première expérience dans ce domaine, il la vécut au Mali lors de la rébellion du Nord en 1990 en tant que chef opérationnel du secteur de Ménaka. L’objectif de la mission était d’imposer la paix. Hors du Mali, Minkoro Kané fut désigné en 1992 chef du contingent malien au Libéria. Cette guerre civile, l’une des plus atroces qu’ait essuyé notre continent, a fait 250 000 morts entre 1989 et 2003. Elle était marquée par des massacres, des viols, des cas de cannibalisme et le recrutement massif d’enfants soldats. « Trop de manipulations et trop des desseins inavoués », tel est le seul commentaire que nous obtenons de Minkoro Kané sur cet épisode de sa vie. Le reste appartient au devoir de réserve que lui impose le rôle qu’il a joué.

En pleine opération sierra-léonaise, une menace surgit et qui concerne cette fois-ci Tombouctou. Le Front islamique arabe préparait une attaque imminente. Le général est rappelé pour gérer cette crise en tant que commandant de zone, avec pour mission « de sauver la paix et, dans le pire des cas, de l’imposer par le feu ». Mission réussie.

En 1999, Minkoro Kané fut désigné chef du contingent malien composé de 428 hommes envoyé en Sierra Léone.  Une mission de plus couronnée de succès. L’armée malienne a été félicitée par tous les partenaires occidentaux. Mais le plus important pour le général est ailleurs. « Détail extrêmement important, se souvient-il, la population a apprécié très positivement nos actions. Plus de vingt ans après, les mérites du contingent malien restent dans la mémoire sierra léonaise et alimente un préjugé positif à l’égard de nos compatriotes qui vivent dans ce pays ». L’officier n’oublie pas de rendre une fois de plus hommage à ses hommes pour « leur abnégation, leur attachement au travail bien fait » et surtout « pour avoir tenu leurs positions quand d’autres abdiquaient ». Pour le général Minkoro Kané, l’une des clés de la réussite des missions qu’il a conduites est le combat. Autrement dit, précise-t-il, ses hommes « se sont battus contre les rebelles jusqu’à ce que ces derniers ayant constaté la réduction drastique de leur nombre déposent les armes ».

A son retour de Sierra Leone, le président Alpha Oumar Konaré le nomma gouverneur de Kayes (1999-2003) où une crise sécuritaire persistait depuis 1989. Elle sera résolue en 45 jours, en collaboration avec les autorités du Sénégal et de Mauritanie, deux pays où les bandits armés qu’il avait identifiés étaient aussi recherchés. Le rétablissement de la sécurité permettra de loger une partie de la CAN 2002 à Kayes alors que la ville était au départ exclue de la grande fête du football. Juste récompense de l’Histoire, c’est dans la Cité du rail que les Aigles obtinrent une victoire probante, celle contre l’Afrique du Sud (2/0 en quarts de finale).

Lorsqu’il lui faut parler de toutes les missions de maintien de la paix actuelles, notre interlocuteur se montre particulièrement incisif. « Elles servent principalement d’autres causes », soutient-il. Il prend comme exemple la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), dont l’objectif est d’aider à ramener la paix. « Est-ce que ses efforts sont uniquement orientés vers ce but ? Je dis non à haute et intelligible voix », lance le général. Lequel fait remarquer que 62 États impliqués, environ 25 000 militaires disposant d’équipements ultramodernes, n’ont obtenu sur le terrain aucun résultat tangible contre 3 000 djihadistes. Cela parce qu’ils n’ont juste pas voulu combattre ces hommes armés. « Il faut noter, relève l’officier, que le chef de file de cette opération était la France. Les autres sont tous venus sous sa bannière pour aider le Mali : Barkhane, MINUSMA, Takuba, G5 Sahel. Malheureusement, ce sont ces mêmes qui essayent de nous combattre aujourd’hui à travers des embargos et autres sanctions sachant bien que le pays traverse des difficultés ».

Sur cette question de sécurité, le général exprime des convictions bien ancrées. Pour lui, si l’on veut que l’Afrique se développe, que l’Afrique soit libre, il est impératif pour les pays africains de se doter de moyens propres afin de pouvoir mener des opérations sur leur sol. Il rappelle à titre d’exemple que la crise au Kosovo a été résolue par les forces européennes sur le sol européen en un temps record. « Chez nous, fait-il observer, leur objectif est de protéger leurs intérêts politiques et l’exploitation des ressources naturelles. L’Union africaine (UA) et la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) sont malheureusement des organisations qui tournent grâce aux financements étrangers ».

Tout comme la dernière-née, le G5 Sahel, peine à être opérationnelle. Pire, sa présidence tournante a été déniée au Mali, pourtant au cœur de l’organisation, par les membres sous influence étrangère. « Lorsqu’on additionne tous ces facteurs, résume Minkoro Kané, on se rend bien compte qu’il serait illusoire d’attendre des résultats positifs d’une quelconque mission de maintien de la paix. Je reste convaincu que tant que la France aura la main dans la gestion de toute force d’intervention au Mali, il n’y aura jamais la paix ».

Le rétablissement de la paix passe donc par l’équipement de nos forces de défense, argue Minkoro Kané, pour qui cet objectif, pour être atteint, nécessite que nous puissions selon les circonstances faire usage de la carotte ou du bâton. C’est à cela, dit-il, que s’attellent les Autorités de la Transition à travers l’achat d’armements, d’avions de guerre et récemment de drones. « La montée en puissance de nos forces armées est indéniable, comme en témoignent les résultats sur le terrain. Leur présence, a permis au renseignement de beaucoup s’améliorer ».

Notre interlocuteur se montre volontiers prolixe sur toutes les insuffisances auxquelles la Transition doit porter remède pour assurer à notre pays un avenir stable. D’où l’importance de l’attention portée au toilettage des textes fondamentaux, les efforts déployés pour contrer l’influence des groupes radicaux et l’éducation de la jeunesse au patriotisme.

CNT : défendre les intérêts du Mali 

Pour relever ces défis, le Conseil national de transition (CNT) a un rôle essentiel à jouer.Son intégration à l’organe législatif, Minkoro Kané dit la devoir en tout premier lieu au ministre chargé de la Défense, le Colonel Sadio Camara qui a demandé aux anciens combattants de désigner un des leurs. Le choix s’est porté logiquement et unanimement sur notre interlocuteur pour deux raisons aussi essentielles l’une que l’autre. La première liée à sa fonction de président de l’Association nationale des anciens combattants, veuves et victimes de guerre du Mali (ACVGM). La seconde du fait qu’il a vécu toutes les crises du Mali de ces quarante dernières années et que son expérience rendrait précieux ses avis.

La Commission de la défense nationale, de la sécurité et de la protection civile traite toutes les questions relatives aux entités figurant dans son champ de compétences (protection civile, police, gendarmerie, garde nationale et armée) et celles examinées par d’autres commissions, mais dans lesquelles un aspect sécuritaire intervient. Le général, s’appuyant sur son expérience des situations délicates, donne aussi son point de vue sur certains dossiers brûlants. « Il nous faut soutenir les jeunes qui ont à cœur de défendre les intérêts du Mali », explique-t-il sobrement en parlant des autorités de la Transition.

Minkoro Kané, dans l’exercice de ses responsabilités actuelles, s’appuie sur des principes qu’il a tenu à respecter tout au long de sa carrière militaire. Nourrir un amour indéfectible pour la patrie, être prêt pour celle-ci au sacrifice ultime, être juste envers ses subordonnés, être loyal envers sa hiérarchie mais en disant toujours la vérité, même si tous ne sont pas d’accord avec vous. Tels sont les crédos qui l’ont accompagné tout au long de sa carrière. « Je n’ai pas connu de défaite et je rends grâce à Dieu pour cela », fait-il remarquer sans cacher une pointe d’émotion.

Alors que nous prenons congés, nous trouvons à la sortie une trentaine d’hommes de tout âge qui attendent notre hôte. L’un d’eux nous explique qu’une crise était sur le point d’éclater dans le village natal du général et qu’ils venaient solliciter son intervention avant que le pire n’arrive.

Autres témoignages d’une sociabilité que Minkoro Kané s’est bien gardé d’évoquer : son implication dans tous les événements sociaux du voisinage auxquels il est convié, ou encore la faveur accordée à l’équipe de football du quartier de garder ses équipements chez lui (son domicile fait face à l’aire de jeu). « Cela n’a peut-être l’air de rien, nous explique un jeune, mais beaucoup ont refusé de nous accorder cet espace de rangement ». La générosité, la vraie, telle que la définissait le père du général, à retrouver dans la vie ordinaire.

Oumar SANKARE

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