L’Institut des jeunes aveugles du Mali (IJA) accueille garçons et filles, dans une mixité qui est favorable à leur développement. A la puberté, les jeunes filles vivent cependant difficilement leur transformation physiologique. Un handicap s’ajoute à l’autre…
« L’école, c’est la vie » : fortes de cette conviction, les autorités maliennes ont ouvert l’Institut des jeunes aveugles du Mali (IJA) en 1974, pour permettre la scolarisation des jeunes déficients visuels. Ces enfants, ne pouvant suivre les cours au même rythme et selon les mêmes méthodes que leurs camarades « voyants », n’avaient pas accès à l’école. L’IJA a donc ouvert ses portes pour faciliter leur apprentissage scolaire. Depuis, l’établissement a formé des milliers d’enfants, jeunes filles et garçons.
Atteinte de handicap visuel depuis sa naissance, Aïssata Koné y a justement trouvé refuge. Ici, elle partage le même quotidien que les autres pensionnaires, momentanément à l’abri des préjugés d’une société qui l’a toujours perçue et traitée comme une handicapée. Élève en 10ème année à 16 ans, la petite Aïssata nourrit le rêve de devenir avocate. Elle veut faire taire les critiques, surmonter son handicap et vivre pleinement son projet : « après mes études, je serai avocate pour défendre la cause des personnes en situation de handicap », répète-t-elle avec conviction. D’un ton ferme, porté par une voix imposante, elle ne s’apitoie jamais sur son sort mais peint son avenir en rose. « Je me vois avocate. J’ai de la force et je sais que ni ma situation de handicap, encore moins ma féminité, ne m’empêcheront d’atteindre ces objectifs », insiste l’adolescente.
L’ambition est certainement la qualité la mieux partagée par les pensionnaires de l’IJA. Mais, le challenge s’avère souvent plus difficile à relever pour les filles, confrontées à des pesanteurs sociales spécifiques dans notre société. Certaines les bravent, d’autres craquent en chemin, vaincues par le handicap et la précarité qui mettent un coup de frein à leurs projets.
La double peine
Aveugle : le terme prend souvent une connotation péjorative que perçoivent parfaitement les personnes atteintes de cécité. Qu’elles le soient de naissance ou qu’elles aient perdu la vue au cours de leur vie, elles subissent une double peine : dans leur vie quotidienne d’abord où chaque geste nécessite une mobilisation constante de tous les autres sens, dans leurs perspectives ensuite car l’avenir est bouché.



La directrice du 1er cycle de l’ lJA, Mme Traoré Perpétue Mounkoro, a donc raison de juger que « l’ouverture de l’établissement a été une aubaine pour des milliers de petits Maliens atteints de cette maladie ». Et au premier rang des moyens utilisés par l’Institut national des aveugles pour élargir les compétences et les horizons figure la mixité. C’est l’une des révolutions pédagogiques les plus importantes de l’institut. « Les jeunes filles, qui y voient un pas de plus vers l’égalité, sont par ailleurs souvent plus désireuses d’aller dans des lycées mixtes que les garçons », constate Mme Traoré Perpétue Mounkoro.
Malgré les effets positifs de ce brassage, « être une fille aveugle est plus dur à supporter », admet-elle. Pourtant, les filles sont bien intégrées et volontaires face aux écueils du quotidien, jusqu’à ce que leur puberté les confronte aux changements dans leur corps et aux menstrues. Il est vrai que les adolescentes sont généralement mal informées sur le cycle de la reproduction, mais face aux premières règles leurs difficultés sont aussi et largement pratiques : toilettes en petit nombre et en mauvais état, manque d’intimité, parfois pas de savon et d’eau, pas de serviette hygiénique jetable ou lavable, souvent des connaissances sommaires en hygiène.
La majorité des filles n’a pas encore atteint 16 ans à ce moment-là, souligne Mme Traoré Perpétue Mounkoro. À cet âge, note-t-elle, ce sont encore des enfants, pourtant leur corps devient celui d’une femme. Certaines ne savent pas comment se tenir pendant cette période, « surtout si elles ne sont pas préparées ».
Hygiène menstruel
Ces inquiétudes renvoient à une étude de l’Unicef, réalisée en 2018 dans le cercle de Kati sur l’hygiène menstruelle des adolescentes à l’école. Elle révèle que « 43,06 % des filles scolaires ont affirmé que le meilleur moment pour recevoir l’information était avant l’apparition des premières règles ». L’étude précise : « 68 % des filles dans l’étude n’ont pas reçu d’information concernant les menstruations avant de les voir pour la première fois. Et 45 % des filles scolaires utilisent les morceaux de tissus comme protection pendant leurs périodes de règles. Ce qui est une pratique inappropriée et peut avoir des conséquences sur la vie génitale des filles ».
Selon les statistiques disponibles au Mali, seulement 2,13% des écoles ont une option pour assurer l’intimité des filles aux toilettes, et seules 0,71% des écoles disposent d’options pour l’élimination des matériels utilisés pour la gestion des menstruations. Les mêmes statistiques révèlent que 2,13% des écoles observent une augmentation des jours d’absence pour les filles en âge de puberté ; 0,71% des écoles indiquent que les menstruations affectent la participation des filles aux activités didactiques et ludiques. L’lIJA fait malheureusement partie du lot des écoles qui trainent en la matière.
« Une faible gestion de l’hygiène menstruelle peut causer des infections et avoir un impact négatif sur la santé reproductive. Pendant leurs règles, les filles sont sujettes à diverses restrictions qui peuvent être d’ordre religieux, alimentaires, domestiques ou sexuels », indique le Dr Kalifa Diarra. Ce qui incite Siaka Diabaté, le directeur et coordinateur de l’Institut des jeunes aveugles du Mali, à s’investir personnellement, malgré ses « maigres ressources », pour soutenir les jeunes filles pensionnaires de son école, surtout durant cette période délicate.
« Nous demandons le soutien de toutes les personnes de bonne volonté pour faciliter l’intégration de ces filles. Ce n’est pas de leur faute si elles sont atteintes de handicap visuel. L’État et les personnes de bonne volonté doivent aider cette école », souhaite Mamadou L.Traoré, un parent d’élève qui, fièrement, salue les efforts de l’établissement dans l’éducation et l’insertion socio-économique des enfants aveugles au Mali.
Tidiane Bamadio
