Jeunes de la débrouille : Taoulé, le vendeur de beignets

Ce n’est pas courant : ce jeune homme s’est mis à vendre des beignets… comme sa mère, aujourd’hui malade et qu’il a remplacée dans son commerce. Portrait d’un élève appliqué qui sacrifie ses loisirs pour être soutien de famille. Et a gagné l’estime des gens.

Treize heures déjà, le jeune Taoulé Keïta quitte son lycée d’un pas pressé. En dépit des apparences, il n’emboite pas le pas à ses camarades de classe qui se retrouvent aux « grins ». Taoulé s’apprête à s’adonner à une activité insolite pour un garçon de son âge sous nos latitudes : préparer la pâte des beignets qu’il va faire frire et vendre durant l’après-midi.

Ce lundi, comme tous les autres jours, celui que ses camarades d’enfance surnomment Taliché, a un emploi du temps chargé. Il doit effectuer les tâches ménagères de sa mère et nettoyer tous les ustensiles nécessaires à son négoce de beignets pendant que la pâte monte. L’horloge sonne pour annoncer 15h30. Il est l’heure de prendre une douche et de s’habiller pour le travail de l’après-midi. L’adolescent de 17 ans, taille moyenne et teint foncé, transporte son matériel de cuisine jusqu’au point de vente installé à une trentaine de mètres de son domicile. Visiblement, ce n’est pas une corvée pour Taoulé Keita qui semble même un peu impatient de se mettre à la tâche. Une motivation qui a dû pas mal contribuer au succès de ses beignets et de sa relative célébrité dans le coin.

A 16 heures, la poêle est déjà posée sur le foyer et les premiers fragments de pâte commencent à frire. La cuisson à peine entamée, une queue se forme tandis que se succèdent les commandes par téléphone. La file d’attente grossit et la foule de clients devient si compacte que l’on parvient à peine à distinguer Taliché.

La première fournée est prête, à la satisfaction de Blaise Ganten qui est le premier servi.  Ce Togolais, résident à Sébénicoro en Commune IV de Bamako, connait bien Taoulé. C’était, raconte-t-il, un gamin qui épaulait sa maman lorsqu’elle faisait ses beignets. Quand celle-ci est tombée malade, le garçon (qui n’a pas de sœur pour assurer la relève), a repris l’affaire. Taliché confirme l’histoire et en commente quelques aspects : « certains clients ne viennent que par simple curiosité, juste pour me regarder faire ce travail. Parfois, on me pointe même du doigt, mais ça ne me dit rien car toutes nos petites dépenses familiales sont couvertes par le produit de cette vente ». Blaise Ganten n’éprouve aucune curiosité malsaine envers l’adolescent, bien au contraire, il veut l’encourager en lui achetant tous les jours des beignets, car de son point de vue cette activité lui évite d’être tenté par la délinquance.

Dans la foule, une voix retentit : « J’en veux pour 200 F CFA ».  Mohamed Koné est aussi un client fidèle de Taliché, qu’il juge très courtois et respectueux. « J’ai fait sa connaissance grâce à un de mes amis qui m’a fait goûter un jour ses beignets alors que nous étions de passage. Je me suis régalé. Depuis ce jour, j’en achète tous les jours », indique-t-il. Et il n’est pas le seul apparemment : à 17 heures, les beignets sont épuisés et les retardataires comme Aminata Cissé, repartent  les mains vides. La friandise est le péché mignon de cette jeune élève de treize ans qui en achète quotidiennement après les classes mais qui, ce jour, a dû, la mort dans l’âme, rengainer ses envies.

Rokia Traoré est aux premières loges pour assister à ce ballet d’amateurs de délicieux beignets car elle vend des poulets de chair grillés, juste à côté de l’emplacement de Taoulé Keita. En voisine observatrice, elle dit beaucoup de bien de celui-ci : « Taoulé n’est pas comme d’autres. En plus d’être bien élevé et respectueux, il n’a aucun problème et n’envie pas les autres. Sa maman est malade et son père ne travaille plus, donc, il est le seul espoir de sa famille ». Grâce aux revenus générés par la vente des beignets, poursuit-elle, il règle la location de leur maison et achète de quoi manger. « Il est tout pour sa famille. Il fait toutes sortes de tâches que font les filles. Et malgré ses occupations, il travaille bien à l’école », révèle la jeune dame si émue qu’elle en a les larmes aux yeux.

Recoupements faits, Taliché est bien ce garçon dévoué et travailleur, et un bon élève. C’est aussi un amoureux de foot qui aimerait avoir plus de temps à consacrer à sa passion… mais qui rêve, par-dessus tout, de bénéficier d’aide pour soigner sa maman et bâtir une maison pour sa famille.

Fadi Cissé

Ce reportage est paru dans l’Essor du 29/03/2023

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