Au Mali, la production d’électricité se met à l’heure de la diversification. Une mobilisation tous azimuts est à l’œuvre pour trouver une solution à la crise énergétique que subit le pays.
Firoze Kapadia l’avoue : il cache mal sa joie malgré la morsure des rayons du soleil, ce 9 mars 2023. Le représentant de Malian Cashew Corporation s’apprête à inaugurer la nouvelle centrale électrique de son usine spécialisée dans la transformation de noix de cajou. La satisfaction de l’entrepreneur est d’autant plus grande que l’électricité qui fait désormais fonctionner son unité est propre car produite à partir du gaz. « La production en gaz est économe en énergie, rentable, ne pollue pas l’environnement comme le ferait le diesel et résout nos besoins énergétiques », justifie-t-il.
D’une puissance de production de 80 MW, la centrale fournira à l’usine une énergie moins chère que celle issue des générateurs au diesel, plus fiable que les panneaux photovoltaïques car plus constante, et également beaucoup moins polluante.
« Les microturbines de Genesis Energy [la société londonienne de production d’électricité qui a implanté la centrale Ndlr] sont très efficaces contrairement aux moteurs diesel et peuvent également utiliser la chaleur générée pour produire plus d’électricité. Grâce à cette technologie, nous sommes en mesure de réduire notre facture énergétique et, plus important encore, nous avons le confort nécessaire que notre usine ne subira aucune panne pendant la haute saison », ajoute-t-il.
Dans cette usine de Diatoula, à quelques kilomètres de l’aéroport de Bamako-Sénou, comme dans les salles de conférence de Bamako, ça discute de transition énergétique au Mali. Comme ces 21 et 22 février 2023 lorsque le gouvernement initiait le Salon des investisseurs pour l’énergie au Mali (SIEMA) afin de mobiliser des fonds pour son Plan de développement du sous-secteur de l’électricité sur la période 2022-2026 adopté en Conseil de Ministre en mars 2022. Un plan qui, indique le gouvernement, repose sur un important programme d’investissements axé sur l’exploitation des gisements d’énergies renouvelables et la construction de lignes de transport et de distribution d’électricité afin de limiter la dépendance aux énergies fossiles.

Équilibre financier
L’objectif annoncé est d’apporter des solutions durables aux difficultés du sous-secteur de l’électricité, d’atteindre l’équilibre financier de la société Énergie du Mali (EDM) et d’améliorer la gouvernance du secteur et le coût du mix de production d’électricité. C’est un secret de Polichinelle : EDM SA, chargée de la production, du transport et de la distribution des énergies au Mali, n’y arrive pas efficacement. Rien qu’en ce mois de mars, la fourniture de l’électricité a connu plusieurs perturbations.
Mis en œuvre, le plan permettra donc, selon les prévisions du gouvernement, l’amélioration du mix énergétique par l’augmentation, à travers les interconnexions, de la part des importations de 9% de la production totale en 2022 à 26% en 2026, le renforcement de la production solaire de 3% en 2022 à plus de 22% en 2026 et la diminution de la part de la production thermique respectivement de 30% en 2022 à 0% en 2026 pour les achats et de 26,4% à 15,8% pour la part de production propre.
« Il est établi depuis fort longtemps que l’énergie est le moteur de tout développement. Qu’il soit socio-économique ou industriel. C’est dans ce cadre que le Mali avait déjà adopté la politique énergétique nationale en 2006, dont l’objectif était de contribuer au développement durable du pays à travers la fourniture de services énergétiques accessibles au plus grand nombre de la population au moindre coût et favorisant la promotion des activités socio-économiques », rappelle à l’ouverture du salon, le ministre Abdoulaye Maïga, Porte-parole du gouvernement.
Accroître l’accès à l’électricité
Au cours des dernières années, le gouvernement, avec l’appui de partenaires nationaux et internationaux, a pu accroître l’accès à l’électricité. Le taux d’électrification est passé de 14% en 2004 à environ 54% en 2021, avec toutefois une disparité entre les centres urbains et les zones rurales qui restent encore confrontées à un accès très limité à l’électricité, environ 25% en 2021. Le secteur est aussi confronté à des difficultés qui compromettent la pérennisation de ses acquis et son développement. Il s’agit notamment de difficultés d’investissement dans les installations de production, de transport et de distribution, malgré la disponibilité de plans d’investissements énergétiques tel que le Plan directeur des investissements optimaux 2016-2035, pour un coût estimé à plus de 3 286 milliards de francs CFA, qui vise à porter le taux d’électrification du pays à 72% en 2025, et le Plan directeur d’électrification rurale (plus de 142 milliards de francs CFA).
D’autres plans stratégiques et sectoriels sont également en cours d’adoption, selon le gouvernement. Il s’agit du Plan directeur de production à moindre coût et du Plan directeur transport – distribution de la ville de Bamako et de ses environs.
« Malgré la disponibilité de ces plans d’investissements, le sous-secteur de l’électricité, depuis plusieurs décennies, n’a pas fait l’objet d’investissements permettant un développement cohérent et optimal. L’une des conséquences de ce manque d’investissements à été le recours à des moyens d’urgence onéreux, notamment la production thermique avec des centrales de location dont les coûts sont très élevés pour satisfaire la demande de plus en plus croissante », déplore le colonel Abdoulaye Maïga. C’est dans ce contexte que L’Etat s’affaire à mobiliser plus de 580 milliards auprès des investisseurs pour soutenir le secteur de l’Énergie.
Améliorer le mix énergétique
L’ambition est d’œuvrer à améliorer le mix énergétique pour sortir le Mali de la dépendance du thermique qui constitue plus de 50% du parc de production d’EDM. Il s’agira d’investir dans les énergies renouvelables : le solaire et l’hydraulique.
« La volonté vient à point nommé quand on sait les difficultés auxquelles EDM est confrontée et les enjeux de développement économique national liés à la problématique de l’électricité au Mali », indique le Directeur général d’EDM SA, Koureissi Konaré. Pour lui, il est indispensable de s’engager vers de nouvelles dynamiques d’investissements dans le sous-secteur de l’énergie.
« Pour cela, Il va falloir réduire la part de la production thermique, qui impacte négativement notre revue financière, avec une demande toujours aussi croissante. Donc un changement de mix énergétique est nécessaire et s’impose, obligeant à accorder une part plus importante aux énergies renouvelables, à savoir l’hydroélectricité et le solaire », explique le Directeur général d’EDM SA.
Sur la période 2015-2021, le mix a connu un changement considérable au Mali. La part de la production hydroélectrique, prépondérante en 2015, est passée de 44,7% à 28,2% en 2021. Celle des importations, de 14,4% en 2015, a culminé à 29,6% en 2020 puis est retombée à 17,7% en 2021. Par contre, la production thermique, assurée à plus de 50% par des producteurs indépendants, a augmenté de 40,8% à 51,1%. Ainsi, rien que sur cette période, EDM-SA a acheté́ 855 millions de litres de combustibles, soit près de 570 milliards de francs CFA de coûts. Une situation qui résulte, selon l’entreprise, du faible niveau et du retard dans les investissements en ouvrages de production à moindre prix.
Prépondérante dans le mix, la production thermique engendre ainsi d’importants et onéreux besoins en combustibles. L’enjeu pour le Mali est donc de sortir de la dépendance aux énergies fossiles polluantes et « son corollaire de facture énergétique insoutenable pour l’économie nationale », pour aller vers les énergies renouvelables, qui représentent seulement 28,2% (hydraulique) et 2,9% (solaire), de la production énergétique du pays.
« Le gouvernement doit exploiter d’autres modèles de production d’énergies mais en tandem avec le carburant dont la proportion devrait considérablement baisser. Il s’agit d’intensifier dans la production d’électricité les énergies renouvelables comprenant l’hydroélectricité, le solaire, la bioénergie. Leur efficacité est prouvée grâce à la maturité des technologies et à la disponibilité régulière de la ressource au plus près des zones de consommation », conseille le spécialiste des questions énergétiques, Bagui Diarra.
Au delà, les énergies renouvelables sont aussi prisées par les États pour des raisons environnementales. Elles permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre et ainsi de répondre à l’urgence climatique. « En raison de l’importance de leur potentialité, elles constituent une solution durable pour l’accès universel aux services énergétiques modernes et l’atteinte des Objectifs de développement durable du Mali à l’horizon 2030 », estime le Porte-parole du gouvernement, le ministre Abdoulaye Maïga.
Développement durable
Selon ce dernier, l’État malien envisage d’atteindre l’accès universel à l’électricité d’ici 2030, conformément aux Objectifs de développement durable et du Cadre stratégique pour la relance économique et le développement durable 2019-2023. C’est dans cette optique que le Plan de l’Etat dont le coût est estimé à plus de 2 250 milliards de francs CFA a été adopté le 30 mars 2022.
Les ambitions sont là. Reste à mobiliser les financements pour permettre à EDM de remplir efficacement sa mission. Surtout que s’annonce la période de fortes chaleurs qui suscite une augmentation de la demande en énergie. Et le courroux des usagers d’EDM qui pestent contre l’« Énergie du mal » à chaque délestage.
Aly Asmane Ascofaré

Cet article a été publié par Le Journal du Mali le 10/03/2023
