Le rôle de l’Etat est central pour le développement d’une filière aussi prometteuse pour le Mali que l’agro-industrie. Mais depuis 2012, ses capacités sont encore plus limitées qu’avant. L’intervention des bailleurs offre un complément non négligeable, mais ne suffira pas à répondre aux besoins.
Le Mali traverse une crise profonde depuis 2012, qui a impacté toute l’économie et réduit la capacité de l’Etat à accompagner le développement. Concernant un secteur aussi prometteur que l’agro-industrie, c’est patent, car Il y a un grand besoin d’investissement. « L’industrialisation traine au Mali faute d’accompagnement de l’Etat, comparé au Ghana, à la Côte d’Ivoire et au Burkina Faso » estime Touré Aminatou, directrice générale de Sahel Industrie. A titre d’exemple, note-t-elle, en Egypte l’Etat accompagne les entreprises qui font de l’exportation en matière de financement et d’appui logistique. Et d’ajouter qu’aucun pays ne se développe sans une industrie forte.
Dr Fatimata Cissé est la directrice du Laboratoire de Technologie Alimentaire, à l’Institut d’économie Rurale (IER). Teint noir, enveloppé dans une écharpe orange, elle coache un étudiant sur l’importance de la valeur nutritive et le gout d’un produit qu’il lui présente dans un bocal vert après l’avoir goûté. Le LTA s’occupe de l’amélioration et de la mise au point des techniques de transformation et de conservation des produits agroalimentaires.

La directrice note, malgré les contraintes que rencontre le secteur, une légère évolution dans le secteur agro industriel, surtout avec l’appui des bailleurs estime-t-elle. « La filière est sous exploitée malgré l’énorme potentiel. Dans les années 1970, il y avait des champions industriels comme l’HUICOMA à Koulikoro. De telles unités peuvent être mise en place dans les zones de production de mangues, tomates, arachides, de coton … pour le marché intérieur et pour l’exportation afin de faire rentrer des devises ». Mais ceci ne peut être effectif sans un système éducatif adapté aux besoins et aux réalités du pays et orienter les jeunes vers ces filières porteuses pour réduire le chômage endémique, ajoute le Dr Cissé.
Face à son séchoir de pulpe de mangue semi industrielle à l’arrêt (car la saison des mangues est terminée), Tako Sylla soutient la même position. Pour la directrice de USTako SARL, entreprise qui opère dans la transformation agro-alimentaire, la création d’emploi et le développement des entreprises ne peut se faire sans l’implication de l’Etat à travers l’accès aux financements à moindre coût, la disponibilité de l’énergie à temps plein pour permettre aux machines de tourner, ainsi que la promotion de l’énergie solaire pour amoindrir les coûts. Il faut envisager aussi le problème de mise sur le marché des produits agricoles transformés (distribution), et faire la promotion de nos produits locaux au niveau national, particulièrement au sein des ministères, au profit des produits importés. On peut encore citer Mamadou Traoré, directeur général de Laham Industrie, pour qui la question de l’énergie est cruciale : « l’Etat doit assurer l’approvisionnement en électricité à tout moment, car une industrie à l’arrêt entraine d’énormes pertes. Sans énergie, il n’y a pas d’industries. »

Développement du potentiel du secteur agricole
Faut-il alors compter sur les projets financés de l’extérieur pour apporter un appui ? Le Projet d’appui à compétitivité agro-industrielle au Mali (PACAM), un vaste projet de la Banque Mondiale concernant la filière, entend contribuer à la levée des défis et au développement du potentiel du secteur agricole afin de réduire les pertes post-récoltes, d’améliorer la transformation des produits agricoles et de faciliter l’accès aux marchés des produits frais et transformés.
Le projet a fourni un appui à la stratégie du Gouvernement à travers 4 composantes : augmenter la transformation et l’export de mangues, améliorer l’accès aux zones de production de mangues, promouvoir la production d’alimentation animale, et renforcer les capacités institutionnelles et de mise en œuvre.

Fatoumata Ba HAIDARA est la coordinatrice du Pacam : « Pour faciliter la collecte et la commercialisation de la mangue dans les grands bassins de production de mangue, le projet a construit six (6) centres de collecte et de commercialisation de la mangue à Yanfolila et à Sikasso, doté la jeunesse de dix sociétés coopératives en matériels et équipements d’entretien et de production des vergers de mangue ».
Autre volet concernant l’alimentation animale, le projet a financé 48 sous-projets dans le cadre d’alliances productives entre le PACAM (pour la réalisation des infrastructures – 48 forages, 48 étables et 48 magasins), la Banque Nationale Développement Agricole (pour le financement des besoins en fonds de roulement), les emboucheurs pour l’achat des bovins à engraisser, et l’abattoir Laham industrie pour l’achat des animaux engraissés destinés à l’abattage.

Conscient du problème d’accès aux matières premières, le Pacam a aussi réhabilité 300 km de pistes rurales dans les cercles de Sikasso et Yanfolila. Ces pistes rurales permettront l’évacuation de 35 000 tonnes de mangues supplémentaires, selon Fatoumata Ba HAIDARA.
Pourquoi le secteur ne décolle toujours pas ?
« La principale contrainte au niveau du projet est comment pérenniser les acquis après projet » explique la coordinatrice du Pacam. Ensuite, il faut parvenir à une extension des activités du projet dans d’autres zones de production. Et il faut relever que les acteurs de certaines filières porteuses, non prises en compte par le projet, comme le karité, le sésame, la pomme de terre, l’horticulture… ont sollicité le projet à maintes reprises pour des appuis techniques et financiers.
Au niveau des acteurs, le difficile accès au financement au niveau de tous les maillons est toujours une réalité. Le vieillissement des vergers est également un véritable challenge. Il faut donc moderniser les vergers par la reconversion et la plantation de nouveaux vergers. A cela, il faut ajouter l’insuffisance des équipements et matériels de production, de transformation et de post-récolte, l’insuffisance de logistique de transport adapté.
Une autre difficulté et pas des moindres est le problème de certification des vergers et des produits transformés. Enfin il y a la difficulté d’accès à certaines zones de production.
Ahmadou Cissé a travaillé dans plusieurs projets de développement pendant 20 ans. Aujourd’hui fonctionnaire international, basé au Ghana, il estime que beaucoup de projets n’apportent pas les résultats attendus « à cause du népotisme : très souvent les bénéficiaires sont choisis par affinités, alors qu’on peut se demander s’ils répondent aux critères. Sans oublier le problème lié au suivi des bénéficiaires, qui permettrait de corriger les failles. » Un autre problème réside dans la capacité des gestionnaires des projets. « Très souvent, les bénéficiaires sont incapables de monter des rapports techniques et financiers conformes, ils sont reponsables de dépassements dans les dépenses, la fiabilité des justifications et la gestion administrative sont douteuses ». Si ces quelques éléments ne sont pas conformes les bailleurs plient bagages ou ne débloquent plus les fonds, indique-t-il. Plusieurs projets ont été fermés sans que les fonds alloués n’aient été dépensés totalement.
Oumar SANKARE
Les ambitions du PACAM
Entretien avec Fatoumata Ba Haidara, coordinatrice du projet
Pouvez-vous nous présenter le PACAM ?
Le gouvernement malien a bénéficié d’un financement de la Banque Mondiale pour la mise en œuvre du Projet d’Appui à la Compétitivité Agro-Industrielle au Mali (PACAM). Sa durée est de 5 ans plus 11 mois (2017-2023). Il a pour objectif l’accroissement de la valeur commerciale des produits ciblés à travers la transformation dans les filières agroindustrielles retenues et dans les bassins d’intervention. La transformation se définit comme la conversion des produits agricoles récoltés en produits à valeur marchande. Les filières ciblées par le Projet sont l’aliment pour animaux et la mangue. Le bassin sélectionné est le bassin de production agro-écologique de Sikasso – Bamako – Koulikoro dans le sud du Mali et Kayes.
Pouvons-nous prendre l’exemple de ce qui a été fait pour la filière « mangue » ?
En amont, pour avoir des mangues de qualité et saines, le projet a effectué deux traitements phytosanitaires des vergers de mangue en 2018 et en 2020, ceci pour 34 800 ha. Pour faciliter la collecte et la commercialisation de la mangue dans les grands bassins de production de mangue, le projet a construit six centres de collecte et de commercialisation de la mangue à Yanfolila et à Sikasso, doté la jeunesse de dix sociétés coopératives en matériels et équipements d’entretien et de production des vergers de mangue. En collaboration avec les services techniques (l’OPV et la DNA), le PACAM a renforcé les capacités des inspecteurs phytosanitaires sur les Normes Internationales des Mesures Phytosanitaires (NIP12 et NIP15) et sur les mesures sanitaires et phytosanitaires en matière de qualité et de traçabilité, afin de réduire de façon significative le nombre de saisies de lots de mangues imputables aux mouches de fruits ou autres manquements au niveau de l’exportation (exigences sanitaires et hygiéniques de l’UE). Ces différentes sessions de formations effectuées au niveau de la filière mangue, tant au niveau de l’interprofession qu’au niveau des services techniques dans les pépinières, dans les vergers, dans les centres de conditionnement et dans les unités de transformation, ont beaucoup contribué à l’amélioration de la qualité, de la traçabilité, du volume d’exportation et de la quantité de mangue transformée.
En aval, le projet a accompagné des exportateurs et transformatrices aux différents salons nationaux et internationaux pour faire connaitre la mangue malienne à l’échiquier international. Ces accompagnements ont permis de nouer des partenariats avec des clients potentiels.
Le projet a assisté techniquement et financièrement deux grandes unités de transformation de mangue séchée (Kènè Yiriden à Sikasso et US Tako à Bamako) pour la certification bio et l’audit de suivi HACCP (Analyse des dangers et points Critiques). Il a doté huit unités industrielles de la filière mangue en équipements et en matériels de transformation. Dans le cadre de la promotion de la filière, le projet a installé une unité de traitement des palettes de mangue (toujours dans le souci de respecter les exigences sanitaires de l’UE) au centre de conditionnement de mangue de Sikasso, alors qu’auparavant, les palettes étaient traitées soit en Côte d’ivoire ou soit dans les pays européens.
Malgré les contraintes, a-t-on un exemple de “success-story” ?
Prenons l’exemple de mise en œuvre de la plateforme d’embouche (exportation de la viande de qualité) autour de Laham industrie. C’est d’abord une illustration des alliances productives, mais aussi un modèle de partenariat public privé (PPP). Ainsi, il est mis à la disposition de 48 emboucheurs de Kayes, fournisseurs de l’abattoir moderne de Laham Industrie, des innovations technologiques (infrastructures, équipements et techniques d’embouche…) permettant, d’une part, d’assurer un approvisionnement régulier de l’abattoir en bovins de qualité, et d’autre part, de permettre à Laham Industrie de produire et d’approvisionner en viande de qualité, de quantité suffisante et compétitive, les marchés nationaux et sous régionaux.
Le PACAM a également permis aux emboucheurs d’accéder à un fonds de roulement auprès de la BNDA, renouvelable après chaque cycle de production, et donc de susciter la bancarisation des recettes issues de leurs activités. Enfin, les impacts de ce projet-pilote sont importants en termes de création d’emplois (824 entre 2019 et 2021). Sur une prévision de 48 stations d’embouche, 39 ont déjà été réceptionnées et sont opérationnelles.
Nous pouvons bel et bien dire que ce cas est une parfaite “success–story”.
Propos recueillis par Oumar Sankaré

Reportage publié par L’Essor le 25/01/2023
