Agro-industrie : Un secteur qui a du mal à prendre son envol au Mali

Depuis des décennies on se préoccupe de développer l’agro-industrie au Mali. Malgré plusieurs projets et la volonté de certains acteurs privés, le secteur reste à la traîne. Quelles sont les difficultés auxquelles les uns et les autres font face ? Pourquoi malgré les ressources le Mali est toujours à la traine ?

A Koulikoro, non loin du gouvernorat, on trouvait jadis plusieurs hectares de mangues soigneusement entretenus par le vieux Moussa Diallo. Ramata Traoré, la cinquantaine révolue, assise avec ses trois sœurs autour d’un thé dans leur concession familiale, se remémore : « Toute mon enfance, mes petits camarades et moi avons consommé ces mangues à volonté sans jamais nous soucier du prix d’une mangue ». Comme Ramata, plusieurs habitants de la zone en ont largement profité. C’est le cas de Modibo Diarra, enseignant à la retraite. Nous le rencontrons parmi son groupe de joueurs de belote. « Il fut un temps où nous nous permettions même de ramasser les mangues de ce verger pour les envoyer à nos parents à Bamako et dans d’autres régions gratuitement. La mangue était tellement en abondance à l’époque (et ça l’est toujours) que les bœufs au retour de pâturage se contentaient de les humer et continuer leur chemin sans se donner la peine de les manger » dit-il. Avec le recul de l’âge, Modibo Diarra et ses camarades se rendent compte de toute cette richesse inexploitée dans leur région natale.

Depuis le décès du propriétaire, ces enfants ont morcelé et vendu déjà une large partie du verger du vieux. « La mangue à elle seule peut être une industrie pourvoyeuse d’emploi pour toute la jeunesse de la région Koulikoro. Avec le temps, on se rend compte quel gâchis c’était. Ça crève le cœur de voir une richesse à portée de main, inexploitée jusqu’à présent » regrette Moussa Traoré, un autre joueur de belote. Et d’ajouter : « C’est la même triste réalité dans la région de Mopti où j’ai vu des femmes peules verser leur lait de vache invendu à leur retour du marché. Tout ceci faute de moyen de transformation ».

Si l’industrialisation tarde à prendre son envol, quelques téméraires tentent bien que mal de se frayer un chemin. Tako Sylla est la directrice de USTako SARL, une entreprise qui opère dans la transformation agro-alimentaire, particulièrement la mangue séchée. Il est 14h quand nous la rencontrons dans ses locaux à Kati. L’ambiance est calme, les machines sont à l’arrêt, le chef de la production, M. Diarra nous conduit dans le bureau de la directrice. Décoration sommaire, une table marron sur laquelle sont posés un ordinateur et une imprimante et, au mur, est affiché le graal : une licence certifiant la qualité de la production. Vêtue d’un bazin violet et coiffée d’un foulard de même teinte, Tako Sylla, ancienne de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), à la démarche gracieuse et lente, explique : « la mangue malienne fraiche et transformée est très prisée à l’international. Ce n’est pas pour nous jeter des fleurs, nos clients des pays de l’Union européenne, d’Afrique du Sud et du Moyen Orient nous le font savoir. » Avec un si fort potentiel, « même pas 1% de la mangue malienne est transformé pour faire du jus, des séchés, de la confiture, des produits esthétiques…). Imaginez les retombées économiques pour tout le pays si on pouvait transformer 10 à 15% de notre production », regrette-t-elle.

Pour commercialiser les mangues transformées maliennes, les producteurs sont toujours obligés de passer par des intermédiaires. « Nos produits transitent par des entreprises dans les pays voisins pour pouvoir être sur le marché international. Notre nom ne figure nulle part, ne parlons pas des retombés économiques qui échappent. » Ceci peut être résolu avec un centre de contrôle (sans lequel le Mali ne peut pas exporter les mangues séchées), qui n’est autre qu’une chambre froide pour stocker les produits transformés, les contrôler et faire un container à partir du Mali. A défaut, les productions de mangues séchées se retrouvent dans les statistiques d’autres pays. De plus, le secteur de la mangue transformée, lorsqu’il existe, fait face à un problème de labellisation. Le label permet de donner une identité aux produits.

Seule une dizaine d’entreprise dans le domaine de la mangue transformée répond aux normes. A Sotuba se tient l’unité industrielle Sahel Industrie. Bâtiment de couleur verte, le calme règne : c’est la période morte. Nous rejoignons Touré Aminatou, la directrice générale, au premier étage. De la fenêtre du bureau on peut contempler le lever du soleil qui illumine tout le bureau malgré le rideau. A gauche de la fenêtre, se trouve une étagère sur laquelle sont entreposés plusieurs gammes de thé et surtout un trophée. Sur le bureau, l’ordinateur est pratiquement recouvert de plusieurs boîtes d’infusion. Sahel Industrie est l’une des rares entreprises de l’agro-industrie à assurer sa propre production avec plusieurs coopératives, la transformation, et la commercialisation et distribution à travers sa filiale, Sahel Distribution. « Toutes les entreprises ici font face à un moment donné aux problèmes d’accès à la matière première. C’est pourquoi nous nous sommes mis à la production de notre matière première » explique la technicienne de transformation agro-alimentaire. A titre d’exemple, il y a une période de l’année où les mangues, comme bien d’autres produits de l’agriculture comme la tomate, sont en abondance et pourrissent même au bord des routes ;  tandis qu’il y a une période où elles disparaissent entrainant une fluctuation des prix, souligne Touré Aminatou.

En plus de l’accès difficile aux financements, le secteur agroindustriel fait face à un problème d’emballage de qualité. Ceci s’applique au secteur du jus, des sirops et autres. « Les emballages made in Mali que l’on trouve sur le marché local sont plus chers que ceux importés, malheureusement. Il est impératif d’accorder des subventions à ce niveau pour permettre aux unités d’emballages de réduire leur prix de vente. Sans cela, nous sommes obligés d’importer pour contrôler nos prix. »

De nombreux points noirs

Mamadou Traoré est directeur général de Laham Industrie, une entreprise d’abattage de bovins et autres petits ruminants, et de commercialisation de la viande. Son unité industrielle est dans la région de Kayes, à 610 km de Bamako.

Vêtu d’un jean bleu délavé, une chemise bleu ciel, il nous reçoit à la direction de Laham Industrie à l’ACI 2000, entre une série de réunions.  Il souigne que le Mali est le premier producteur de bétail dans l’espace UEMOA et le deuxième en Afrique de l’Ouest, derrière le Nigéria. Pour Mamadou Traoré, parmi les difficultés (il cite les problèmes d’emballage, d’accès aux pièces de rechange, et d’intrants de manière générale) le manque d’énergie constitue un grand obstacle pour les industriels. « Nous subissons le délestage comme tous les Maliens. Mais au niveau industriel c’est pire, car il impacte toute la chaîne et rapidement les prix s’envolent malgré nous. »

Par ailleurs, on déplore un manque d’infrastructures globales, notamment routières. Les zones de productions et de consommation sont séparées, souligne Mamadou Traoré. Autrement dit dans le secteur du bétail par exemple, le cheptel se trouve dans des zones reculées de la région centre, et si un industriel se rapproche de cette zone, il s’éloigne de la zone de consommation et vice versa. « Tous les autres secteurs font face au problème de transport. Il n’y a pas de consommation dans les zones de productions. On doit donc déplacer nos produits. Dans les deux cas, il y a besoin d’infrastructures routières. Le problème de route fait que les camions achetés à 80 millions l’unité, prévus pour durer 10-15 ans, sont ‘amortis’ en 3 ans, surtout les camions frigorifiques. »  A quoi s’ajoute, indique Mamadou Traore, le problème de main d’œuvre qualifiée locale : il faut bien intervenir sur les camions en cas de panne. « Il nous arrive souvent de faire venir des spécialistes du Sénégal pour réparer nos machines, dans le cas contraire on est à l’arrêt » déplore-t-il.

Au début de la chaine, l’industrie viande-bétail fait face à un problème de matière première de qualité. « Dans l’élevage traditionnel, il faut se promener avec les animaux à la recherche de pâturage. Malheureusement, cette manière de faire ne donne pas de qualité à la viande. Pour avoir une viande de qualité il faut emboucher les bovins » explique l’industriel. A l’autre extrémité : la difficulté pour exporter. « La libre circulation des personnes et des biens, prônée par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), n’est toujours pas une réalité. On se butte au protectionnisme des marchés intérieurs, à la corruption et aux longues attentes aux frontières : si par jour la viande perd 2% de son poids, imaginez les pertes … »

La filière bétail sur pied représente à elle seule près de 60 milliards F cfa, et plus de 60 milliards pour la viande estime Mamadou Traoré. En plus du marché sénégalais qu’approvisionne Laham Industrie, il y a des commandes en République Démocratique du Congo, en Chine et aux Émirats Arabes Unis. Le potentiel pourrait atteindre les 600 milliards, mais il y a un préalable : conclure avec ces Etats des accords bilatéraux. « Depuis plus de 5 ans nous démarchons nos autorités sans succès » explique le jeune chef d’entreprise.

Oumar SANKARE

Ce reportage a été publié par l’Essor le 18/01/2023

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