Urbanisme : initiatives citoyennes (1)
A Badialan 1, quand les jeunes prennent en charge leur environnement urbain, tous les habitants les soutiennent. C’est un exemple particulièrement éloquent d’initiative citoyenne pour améliorer le cadre de vie, sans attendre l’État ou la commune.
Après-midi paisible à Badialian 1, Commune 3 de Bamako. Il est 15h et le soleil est particulièrement doux aujourd’hui. A l‘écart de la route, quatre messieurs jouent tranquillement à la belote autour d’une table basse. Soudain, un jeune homme, en polo rose et pantalon noir, descend lestement de son tricycle malgré ses jambes atrophiées par la poliomyélite et se dirige vers eux, en prenant appui sur ses membres supérieurs. Malgré son handicap, il avance avec la rapidité et la force d’un Soundiata Keïta en pleine bataille. C’est Ibrahim Djikiné, le dynamique secrétaire général de l’Association des jeunes pour le développement du Badialan 1 (AJDB1), en pleine opération de récolte de fonds. Derrière lui, une camarade de l’association brandit une pancarte sur laquelle est affichée la photo aérienne d’un grand jardin ; une autre tient une boîte tirelire avec l’inscription « Opération 500 F ».
Depuis une semaine, matin, midi et soir, à tour de rôle, les membres de l’AJDB1 font du porte-à-porte, passent de famille en famille, de grin en grin pour récolter l’argent qui les aidera à poursuivre l’aménagement d’un espace vert.
Les habitants du quartier les connaissent bien et apprécient ce qu’ils font pour améliorer la vie de la communauté. Hormis cet espace vert, ils ont déjà réalisé un jardin maraîcher, une pépinière et lancé un programme de formation professionnelle visant à initier dix femmes aux techniques modernes de production légumière. Chacun est donc prêt à mettre la main à la poche pour les aider à poursuivre leurs réalisations. C’est même une fierté, depuis que le Grin Benkadi de l’association de jeunes a remporté le premier prix du concours lancé par l’émission de téléréalité Instant Thé sur les actions citoyennes (5 millions de F CFA à la clé).
Quand Ibrahim et ses deux complices débarquent avec leur caisse-tirelire près de nos joueurs de belote, ceux-ci n’ont donc aucun mal à leur donner quelques sous : Abdoulaye Konaté, la soixantaine révolue, pose aussitôt son lot de cartes sur la table, plonge la main dans un pan de son boubou gris et en tire un billet de 1000 F CFA. « Ça fait plaisir de voir les jeunes prendre de l’initiative et s’investir dans la gestion de leur environnement. Nous vous accompagnerons volontiers, leur assure-t-il, et de quelque manière que ce soit !» Aussitôt, ses partenaires de jeu l’imitent avec un grand sourire. Ibrahim et ses deux camarades remercient chaleureusement, et repartent un peu plus loin continuer la collecte.
« C’est bien, ce que vous faites. Il faut améliorer la vie de ce quartier. »
Les voilà maintenant dans la famille Coulibaly. Rokia, une septuagénaire au pas lent, donne sa contribution en prodiguant des encouragements. « C’est bien, ce que vous faites. Il faut améliorer la vie de ce quartier. En notre temps, l’environnement était propre et sain, il n’y avait pas de tas d’ordure dans tous les coins et nous disposions de grands espaces pour nos loisirs. Malheureusement, le développement de la ville s’est accompagné de nuisances. Il faut trouver des solutions pour vous et les générations futures » s’exclame-t-elle. Assis à côté de sa grand-mère, Abdoul, 6 ans, écoute religieusement sa mamie, puis dit d’une petite voix angélique. « J’ai 100 f, moi aussi, je veux donner !»
Cette collecte en dit long sur la spécificité et la beauté de l’action initiée et menée par les jeunes de l’association depuis 2012 : de façon inédite, trois générations du Badialan 1 partagent une même vision. Qu’ils soient riches ou pauvres, jeunes ou vieux, tous les habitants du quartier se sentent aujourd’hui concernés. Mais pour gagner leur confiance, il a fallu faire ses preuves. Au début, certains étaient réticents, à l’image de Bakary Nimaga, gérant d’une boutique d’électronique. « Qu’est ce qui me prouve que vous ne faites pas ça pour vous enrichir sur le dos des riverains ?» interroge-t-il. Aussitôt, pour apaiser la méfiance, Ibrahim tire de sa poche un document signé par le vieux chef de quartier, Modibo Djiré, qui se porte garant de leur initiative. Un sésame pour ouvrir les dernières portes closes.
Depuis que le chef septuagénaire est devenu leur allié, toutes les barrières sont tombées. Son autorité et son sérieux dans la gestion de la vie collective fait foi. Quand nous le rencontrons dans son salon, il a pris le soin de réunir tout son conseil. Une quinzaine de personnes, avec les représentants du conseil et du comité de développement du quartier, des associations de femmes ou de jeunes…, jusqu’au comité de gestion scolaire et au comité de veille et de sensibilisation sur la radicalisation et l’extrémisme violent.
« Quand j’ai été choisi comme chef du quartier Badialan 1, j’ai voulu diriger autrement. C’est pourquoi j’ai convoqué hommes, femmes et jeunes pour impliquer tout le monde dans la bonne marche des choses. Du coup, quand les jeunes de l’AJDB1 m’ont contacté, j’ai tout de suite accepté d’appuyer les initiatives qu’ils me soumettaient », sourit le vieil homme en égrainant son chapelet.
La gouvernance de Badialan 1, sur le modèle d’une gestion participative, a facilité les choses pour les jeunes de l’association. Une fois par mois, les représentants des différentes organisations se réunissent autour du chef de quartier et de ses conseillers pour discuter des dossiers. « Il est de notre devoir d’accompagner les initiatives des uns et des autres pour le bonheur du plus grand nombre » résume Modibo Djiré.



A eux tous, ils peuvent ainsi prendre les problèmes à bras-le-corps. Notamment, l’épineuse question des espaces publics, occupés de manière illégale par des particuliers peu scrupuleux. Ils peuvent aussi essayer de combler l’absence de gestion du traitement des ordures. L’une de leurs priorités étant l’assainissement du quartier,dès 2015, Modibo Djiré a proposé aux jeunes de participer au curage des caniveaux pour éviter les terribles inondations en période d’hivernage. Il lui a suffi d’émettre l’idée pour que les jeunes de l’association s’exécutent. Après le curage, ceux-ci se sont interrogés sur un autre problème de taille : que faire de toutes les ordures enlevées des caniveaux qui restaient à pourrir sur le bord de la route ? Normalement, c’est la mairie qui doit se charger de collecter les déchets, mais faute de dépôts de transit, les abords des caniveaux se transformaient en dépotoir pendant de longs jours. Jusqu’à ce que les jeunes prennent eux-mêmes la décision de s’en débarrasser avec des charrettes tirées par des ânes. Aujourd’hui, ils font appel aux institutions ou à toute personne de bonne volonté qui pourraient les aider à se procurer une benne à ordures, ou du matériel de transport et de gestion des ordures…
Évidemment, les contributions modestes des habitants du quartier sont insuffisantes pour réaliser tous les projets en cours. Mais là encore, les jeunes se sont organisés. En présentant des dossiers bien ficelés et budgétés, ils ont réussi à intéresser des donateurs. A commencer par les autorités traditionnelles qui ont mis à leur disposition une partie des fonds alimentés par les cotisations des différentes associations, au total près de 3 millions de Fcfa. Une jolie cagnotte, certes, mais encore insuffisante, au regard du coût des réalisations en cours (15.475.190 F CFA). Afin de combler le manque, les membres de l’AJDB1 ont alors monté des dossiers bancables qu’ils ont présentés aux autorités, aux ambassades et ONG. Et ont sollicité l’aide d’experts, de techniciens et de logisticiens. C’est dans ce cadre qu’en 2020 ils ont répondu à un appel à projets PISCCA (Projets Innovants, Société Civile et Coalition d’Acteurs) et bénéficié d’un apport d’un peu plus de 7 millions de francs. A quoi se sont ajoutés les 5 millions du premier prix remporté par le Grin Benkadi lors de l’émission de télé-réalité Instant Thé…
Aujourd’hui, quand on se promène dans Badialan I, une certaine sérénité nous envahit. Les rues sont bitumées, propres et larges. Le long du goudron, par-ci par-là, on a planté des arbres. Soigneusement entretenus, ils donnent une ombre agréable dont profitent les passants, mais aussi les moutons, les poules et les poussins.
Bientôt, l’espace vert en cours d’amélioration sera accessible à tous. L’un des membres du comité de gestion, Amadou Sanago, nous invite à le visiter. En déverrouillant le portail fermé par un gros cadenas, il nous dit sa fierté d’être en charge de ce joyau. « Il n’y a pas beaucoup de lieux comme ça, à Bamako ». Dès l’entrée, le regard se fixe sur une magnifique fontaine, en plein milieu de la cour. Un peu partout, sous les feuillages et le long des allées dallées, on a installé des bancs en béton, ressemblant à des troncs d’arbres. A certains endroits, de hautes herbes font le bonheur des éleveurs qui les utilisent pour nourrir leurs animaux. L’espace est calme, vert, agrémenté d’une agréable mélodie d’oiseaux. « Pour le moment, nous ne l’avons pas ouvert au public car nous comptons y apporter des améliorations, précise Ibrahim. L’objectif est d’en faire un point de rencontre de la jeunesse, un espace de lecture et d’échange. »
L’association est déjà en pourparlers avec les opérateurs téléphoniques afin d’obtenir un accès libre à l’internet, mettre en ligne une bibliothèque numérique et installer un coin médiathèque, dont l’alimentation en électricité sera assurée par des panneaux solaires. Il est également prévu de construire un hangar de 15 m de long sur 7 m de large, qui abritera un bureau, un magasin, un fast-food, et des toilettes…
A Badialan 1, si toutes les réalisations ne sont pas encore achevées, où qu’on aille l’empreinte de l’association de jeunes est là. A la pépinière, par exemple, il n’y a encore que quelques pots de fleurs et des arbres bien taillés, mais l’espace est déjà ouvert à tous ceux qui veulent prendre l’air, faire du sport ou profiter de l’un des nombreux bancs pour lire ou bavarder. Ce qui, en soi, est déjà un luxe, vu le manque d’aires de repos à Bamako. Aujourd’hui, toute l’équipe s’évertue à réunir des fonds pour que cette pépinière devienne réellement opérationnelle.



Idem du côté de l’espace maraîcher. Ici on produit tous les légumes de saison. Les dix femmes qui cultivent aubergines, piments et gombos, ont chacune un espace personnel qu’elles peuvent mettre en valeur. Une partie des revenus qu’elles en tirent est versée à la caisse de cotisation du quartier.
Les deux maraîchères, Aichata Konaté et Nantené Keita, sont très conscientes de l’intérêt de cette nouvelle activité. Pour la première, c’est une solution au chômage ; pour la seconde, cela permet de produire des légumes bio qui partent directement à la cantine scolaire du quartier. « Il y a de plus en plus d’aliments à base de produits chimiques dangereux pour la santé. Mais ici, comme la cantine scolaire est gérée par les femmes du quartier, nous nourrissons nos enfants avec ce que nous produisons » se réjouit Nantené. A l’avenir, pour bénéficier d’une arrivée d’eau permanente, les jeunes de l’association prévoient de faire un forage, et d’acheter deux cuves de 1000 m3 et une pompe solaire. A cela s’ajouteront l’installation de panneaux solaire et un puits de compostage.
Assainissement, création d’emploi, gestion inclusive, veille citoyenne…, toutes ces initiatives n’auraient pas vu le jour sans les jeunes de Badialan 1. En s’alliant aux habitants et à la chefferie traditionnelle, ils ont contribué au développement de leur quartier, malgré les difficultés et leurs faibles ressources, en montant des projets, en participant aux compétitions et en allant taper à toutes les portes. De quoi inspirer les autres quartiers de Bamako. Comme le dirait Voltaire dans Candide : que chacun cultive son jardin !
Oumar SANKARE
« L’Instant Thé », la téléréalité au service des citoyens
Rencontre avec Mantchini TRAORE, présidente de l’association Cultur’Elles et productrice de l’Instant Thé diffusé sur l’ORTM.
Comment fonctionne l’Instant Thé ?
L’instant thé est un programme télévisé qui allie divertissement et engagement citoyen. Produit par l’association Cultur’Elles en partenariat avec l’agence SPIRIT et Banko Productions, l’Instant thé vise à forger des citoyens actifs à travers des projets de développement participatif, la formation et le coaching des jeunes dans les grins.
L’émission met en compétition les grins de jeunes, âgés de 18 à 30 ans, autour de projets solidaires. Chaque grin propose un projet pour le développement de son quartier ou de sa jeunesse. Le challenge réside dans leur capacité à mobiliser la population locale autour du projet et à lever des fonds localement (en nature ou numéraire). Dans sa rubrique, « le défi de la semaine » les groupes abordent différentes thématiques, à travers des expressions artistiques, des causeries-débats, des séances de réflexions structurées et stratégiques, ainsi que des actions de participation citoyennes. A l’issue de la compétition, l’émission complète le financement des 3 projets primés et assure, en lien avec les grins, le suivi de leur mise en œuvre.
Comment avez-vous réussi à ce que les jeunes des Grins s’approprient ce programme ?
Nous avons mis en place un cadre qui leur donne confiance en eux et l’envie de s’intéresser aux affaires publiques, d’acquérir le sens de l’intérêt général, d’avoir un esprit collectif. Ils ont appris à Identifier les besoins de la société et à réfléchir à des solutions pragmatiques, monter des actions concrètes, se confronter à la réalité et apprendre à se mobiliser.
Dès les deux premières éditions, le volet « renforcement de capacité des jeunes des grins », a été l’opportunité pour eux d’avoir un ancrage local et d’acquérir des compétences en mobilisation de proximité. Ce volet était constitué d’une formation en production de contenus vidéo et de rendez-vous réguliers, itinérants, au cours desquels ils mobilisaient les organisations de jeunes de leurs quartiers, les autorités (traditionnelle et politique) et les écoles, autour d’actions citoyennes et de causeries-débats thématiques. Huit Grins ont ainsi organisé quatre rendez-vous dans leurs quartiers, à Bamako, Kati et Ségou. Cette expérience a servi de préfiguration pour le programme triennal que nous lançons.
Comment avez-vous évalué la force de ce programme ?
Aujourd’hui, la force du programme, c’est sa communauté de 250 à 300 personnes. Et c’est une communauté qui va encore grandir car chaque membre est un « ambassadeur de l’Instant thé » (du comité d’orientation aux grins, en passant par les coachs, l’équipe de production et les personnes ressources que nous sollicitons). Une dizaine de jeunes des grins des éditions passées ont ainsi intégré l’équipe d’organisation de la 3e édition. Autrement dit, ce sont les grins des précédentes éditions qui mènent les campagnes sur le terrain pour expliquer le concept du programme et encourager les autres grins à postuler lors des appels à candidature.
Parlez-nous de l’évolution de ce programme.
Comme tout programme axé sur le changement de mentalité et de comportement, L’Instant thé s’inscrit dans le temps avec une stratégie cohérente et évolutive.
De la première édition à la troisième, le programme a donc accompagné l’évolution des jeunes de la communauté, mais aussi celle du contexte national et sous-régional.
Dès la 2e édition, l’émission télévisée a été étoffée par un programme de renforcement de capacité des jeunes et actuellement nous travaillons sur notre plan triennal à 3 composantes. Sans être une solution miracle à tous les maux, ce programme triennal permet de former des futurs leaders qui ont : l’acuité intellectuelle pour s’inspirer de leur environnement socio-culturel et la curiosité et l’envie d’apprendre pour créer un cadre de gouvernance adapté; l’adaptabilité, la résilience et l’endurance suffisantes pour faire face à la complexité et l’incertitude de la société; la détermination et l’envie de réussir pour prétendre être ce « Malien Koura » sans lequel le MALI KOURA tant rêvé ne saurait exister
Quelles ont été les principales difficultés auxquelles vous avez été confrontés ?
Nous avons été confrontés à des difficultés d’ordre financier et aussi d’ancrage institutionnel, que nous avons su contourner en trouvant des alternatives. Notre plus grand défi a été la crise sanitaire, qui s’est installée en pleine période de production de la Saison 2. Elle a eu l’avantage de nous pousser à sortir de notre zone de confort, d’être créatifs et d’innover. Ainsi, nous avons lancé, en concertation avec toutes les parties prenantes, un plan de réadaptation qui s’est appuyé sur les TIC, l’engagement des jeunes pour le changement et un élan de solidarité. Ainsi, nous avons pu également adapter le format de l’émission au contexte sanitaire et mener de multiples actions de sensibilisation contre la COVID-19.
O.S

