Depuis son enfance, il en rêvait : devenir entrepreneur. Aujourd’hui c’est fait et le jeune artiste trentenaire veut communiquer sa passion pour le bogolan, bien au-delà de Ségou où il travaille.
Dès la devanture de son atelier est affiché le slogan « CA », dessiné sur le mur en motif Bogolan : CA comme Consommons Africain. Sous un hangar, avant d’accéder à sa boutique, on voit étalés sur une tôle pagnes et chemises bogolan. Et voici Aboubacar Touré, tee shirt blanc au logo CA, pantalon jean, tenant un bidon de teinture : avant même de parler avec lui, on comprend que le natif de Gao vit et pense bogolan depuis toujours. Le bogolan, c’est sa passion, c’est l’air qu’il respire…
Tout a commencé à l’école, au Centre de recherche et de formation pour l’industrie textile (CERFITEX) de Ségou. Licence en technologie textile en poche, il a continué de faire des stages dans plusieurs structures dans le domaine du tissage. Avant de créer en 2017 sa propre entreprise. Toutefois l’essor entrepreneurial est venu en 2021, avec l’appui du Fond d’appui à la création d’entreprises par les jeunes (FACEJ). « A partir de là, je suis entré dans la danse de l’entreprenariat ; je suis obligé de travailler dur pour rembourser mes dettes et aller de l’avant », souligne l’artiste, qui emploie aujourd’hui neuf personnes, dont trois hommes. C’est à souligner, car à l’en croire beaucoup de gens considèrent que c’est un travail pour les femmes.


Deux types de tissus sont employés pour ses bogolans : les tissus traditionnels et ceux importés. Ensuite le textile est imprégné de n’galama, une matière produite avec des feuilles d’arbres. « C’est le produit de base, avant de faire n’importe quel dessin sur le tissu », explique l’artiste, tout en traçant avec attention, tête baissée, son motif. Ses apprentis, de l’autre côté de l’atelier, trempent les pagnes trois fois dans le n’galama de couleur verte, avant le dessin qui intervient après séchage. Dessin qui est repris jusqu’à trois reprises, pour donner plus d’éclat au tissu et renforcer sa couleur avant de l’étaler sous le soleil. Le séchage est une opération-clé : le jour où il n’y a pas de soleil, pas de travail. Selon Aboubacar Touré, c’est le bon séchage qui donne toute sa qualité au bogolan. Chaque motif nécessite par ailleurs un temps particulier de réalisation, et certains commandés par le client prennent jusqu’à une semaine.
« Avant, on travaillait avec une idée de stock zéro. Avec l’évolution de l’entreprise, j’ai commencé à en faire à l’avance pour pouvoir présenter lors des foires auxquelles on prend part », précise le jeune créateur. Ses commandes peuvent venir du Mali, mais aussi de l’étranger, où des stylistes ont commencé à s’adresser à lui. Mais l’exigence de plus grande production, qui prend dès lors du temps, crée des difficultés économiques spécifiques car le retour sur investissement est moins rapide. Surtout lorsque les clients considèrent que le prix de cette production de qualité est trop élevé.
Et il y a les mentalités : les gens ne considèrent pas le travail du bogolan comme noble, notamment dans l’Islam. « Dans la société on pense encore que la personne qui fait ce métier est un féticheur. Des gens me disent : on ne peut pas prier avec du bogolan, c’est un habit pour les féticheurs ! Donc beaucoup d’entre eux s’éloignent de moi », signale le Ségovien qui pense qu’il serait temps de mieux valoriser nos tissus traditionnels, au lieu d’importer des textiles d’ailleurs.
Pas de quoi décourager l’entrepreneur, qui au moins subvient à ses besoins et ceux de sa famille. Si on visite l’intérieur de la boutique, toutes sortes d’articles s’entassent : pagnes tissés, chemises, sacs, jetés de tables, couvre-lits, etc. Aboubacar assure également la décoration en bogolan de séminaires ou cérémonies, comme les mariages. S’il réside à Ségou, la majeure partie de sa clientèle réside à Bamako et à l’étranger, grâce aux plate-formes de vente. Les réseaux sociaux l’ont beaucoup aidé à se faire connaitre et il est suivi aujourd’hui par des milliers de followers. Chaque jour, il livre des articles à Bamako.

Sa cliente du jour est Hawa Dembélé, venue en compagnie de sa grand-sœur résidant à Ségou. Elle l’a connu par le bouche à oreille. « C’est comme ça qu’elle m’a envoyé son contact à Bamako. » Hawa témoigne : « le jour où j’ai porté un habit d’Aboubacar, toutes mes amies m’ont dit que j’étais splendide ; je suis devenue accro au bogolan ». Et fidèle à un artiste qui « fait de belles choses, qui est aussi compréhensif et abordable ».
Fadi Cissé

Ce reportage a été publié par le quotidien L’Essor le 14/12/2022
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