C’est un concept nouveau au Mali : cultiver (bio) chez soi, par exemple sur un toît de maison. Petit à petit un réel engouement apparaît, qui a permis à Bintou Samaké et à d’autres de lancer une véritable activité de formation et d’accompagnement. On peut rêver : demain, Bamako sera un potager géant !
Au dernier étage d’un immeuble de Medina Coura, Bintou Samaké (alias Binette) s’active au milieu de seaux, de pneus, de sacs de riz et de casiers à bouteilles remplis de terre. Courbée au-dessus des salades, épinards, concombres ou feuilles de menthe, elle enlève les mauvaises herbes à coups de ciseaux. La terrasse, recouverte d’une grande bâche en plastique noir, est tellement surchargée de plantes, qu’on n’a plus la place de bouger un pied.
Binette, âgée de 26 ans, est agent commercial chez Damegreen Mali, une entreprise spécialisée dans la production d’engrais organiques. Mais elle est surtout technicienne agronome et adepte du bio hors-sol.
Diplômée du centre d’apprentissage Agricole de Samako(CAA), elle a poursuivi sa formation pendant 8 mois au sein de la Fondation Syngenta, une ONG spécialisée dans l’agriculture durable qui travaille, entre autres, sur les terreaux locaux. Puis, à l’ Icrisat Mali, l’Institut international de recherche sur les cultures, elle s’est initiée à la culture hors-sol. C’est là que l’idée de se lancer dans ce type de maraîchage lui est venue.
En 2019-2020, elle a commencé par aménager un petit jardin au deuxième étage de sa maison. « Au début se souvient-elle, c’était une distraction pour moi et ma famille. Grâce à mes légumes, nous mangions bio tout en faisant des économies. »
L’idée d’en tirer des bénéfices lui est venue quand elle a partagé son expérience sur internet, en diffusant des vidéos sur les réseaux sociaux, notamment sur Tiktok. « Très vite, j’ai reçu des encouragements et des demandes de formation. Beaucoup d’internautes me demandaient de venir leur apprendre à faire des jardins chez eux. Comme cette dame, Mme Yossi Fadi Coumaré, qui a tout de suite compris l’intérêt de cultiver ses propres produits bio pour les commercialiser et ouvrir un service traiteur. »
Petit à petit, la passion de Bintou Samake est donc devenue une véritable activité, génératrice de revenus. Car cette agronome est aussi une entrepreneuse. Après avoir officialisé son nouveau statut auprès de l’API Mali , elle a monté l’entreprise Séné Kura, spécialisée dans la production et la vente de produits maraichers.
« Chez moi, dans la pépinière que j’ai créée à Sirakoro, explique-t-elle, je travaille avec deux jeunes qui ont fait également des études dans la production d’espaces maraichers hors-sol ».
Tout en découpant ses salades arrivées à terme, elle raconte qu’au début, l’installation de ce jardin lui a couté cher. Il a fallu acheter des matériaux, des terreaux, des semences… « Mais comme je m’y connais, je sais choisir les matières premières qu’on vend au bord des rues, chez les fleuristes. Là, le sac de 25 kg coûte seulement entre 1000 et 1500 Fcfa… »


Actuellement, son entreprise propose 4 kits de potagers hors-sol aux particuliers qui veulent faire pousser des légumes sur leur terrasse : le jardin Fitini (85 000 Fcfa), le jardin Akèlama (120 000 Fcfa), le jardin Ba (160 000 Fcfa) et enfin le jardin Wassalé (220 000 Fcfa). « Le prix dépend des moyens ou de l’espace dont dispose le client. Ainsi que des produits et du genre de légumes qu’ils veulent ».
Une fois que les gens ont choisi la formule qui leur convient, Binette rassemble récipients, semences et boutures et vient transformer leur balcon en jardin. Ensuite, régulièrement, elle passe surveiller l’évolution des plantes, et les traiter si elles ont des parasites ou des maladies. Cette prestation mensuelle coûte 30 000 Fca.
« Peu à peu, en me voyant faire, les gens apprennent à cultiver, ce qui peut réduire le suivi. », précise-t-elle. Binette est donc également formatrice.
« D’ailleurs, avec la formalisation de l’entreprise, je ne vais pas me limiter à la formation de quelques personnes ! Je vais aller plus loin, en proposant des formations de 2 à 3 jours qui seront accompagnées par une attestation. » Pour l’heure, elle a déjà formé plus d’une dizaine de personnes, « dont seulement un homme », sourit notre interlocutrice.
Le seul frein aux ambitions de Bintou est le manque de moyens pour faire progresser son entreprise. « Stocker les matériaux dans des locaux, ou les transporter chez les particuliers qui habitent loin, coûte cher. Ça ralentit l’installation des jardins » déplore-t-elle.
Souvent, elle bute aussi sur l’incompréhension des clients. « Ils sont pressés et ne comprennent pas que le bio prend du temps à évoluer car on n’utilise pas d’engrais. En plus, dès qu’il pleut, on risque l’inondation car les terreaux sur les toitures n’absorbent pas l’eau comme la terre dans un champ. »
Ces difficultés ne découragent pas Binette pour autant. Elle est convaincue que la culture hors-sol présente de réels avantages pour l’avenir : on peut la faire à tout moment, chez soi et consommer des produits dont on connaît la provenance. « L’avantage est qu’on sait ce qu’on a dans son assiette et que le côté santé est assuré pour pas cher ! Et ça, les clients s’en rendent compte. »
La jeune entrepreneuse est donc optimiste, persuadée que sa passion a de l’avenir. « J’économise l’argent que la formation me rapporte déjà un peu pour agrandir mon entreprise et à travers cela contribuer, à mon niveau, à lutter contre le chômage » conclut l’agricultrice des villes…
Fatoumata Sidibé



Le hors-sol fait des émules !
A Winzinbougou, à 15 minutes de route de l’ACI 2000, se trouve l’entreprise agricole de Issiaka Diarra, PDG de Diarra Agriculture. Celui-ci nous reçoit dans la salle de formation où est enseignée la culture hors-sol.
« Parmi toutes les formes de culture que nous enseignons, nous avons introduit la culture hors-sol qui est actuellement en vogue. L’idée nous est venue après avoir constaté qu’il y avait des gens qui ne pouvaient pas faire de la culture plein champ parce que leurs terres étaient trop dures. Et qu’avec le hors-sol, on n’avait pas besoin d’avoir beaucoup d’espace, ni de terre cultivable.
Nous exploitons maintenant une ferme de 15 hectares et une grande serre où nous faisons pousser toutes sortes de légumes, tomates, gombos, oignons, aubergines, piments…
L’idée de former à la culture hors-sol m’est venue grâce à mes publications sur Facebook ; les gens se montrés très intéressés et ils ont posé beaucoup de questions. Ils ont surtout compris que sans formation, toute activité agricole était vouée à l’échec.
Aujourd’hui, nous avons déjà formé plus de 1000 personnes. Notre travail est donc à la fois un travail d’accompagnement, de suivi, de consultation, de conseil et souvent d’aménagement d’espaces agricoles. C’est comme ça que nous évitons aux agriculteurs débutants de faire des erreurs et d’abandonner.
Les plantes sont comme des personnes ! Il faut prendre soin d’elles, les soigner, connaître les techniques contre les virus, les maladies, et les nourrir sainement avec des engrais Bio. Ce qui peut avoir un coût…
La formation de deux jours à Diarra Agriculture coute par exemple 20 000 Fcfa, mais à la fin du stage, nous délivrons une attestation. L’un des intérêts, c’est qu’on n’a pas besoin d’avoir fait des études pour y participer : notre enseignement est à 90% pratique. »
F. S
