Kita, à 170 Km de Bamako, pleure sa splendeur perdue de « capitale de l’arachide ». L’apport aujourd’hui de l’économie cotonnière ne suffit pas à retenir les jeunes dans la région. Et si la multiplication des microentreprises constituait une alternative ? Nous y avons rencontré de jeunes patrons heureux.
Il faut traverser une série de villages après Kati, avant d’arriver à Kita : Diago, Dio, Sanadjedo, Siranikoro…. Une route délabrée longue de 170 Km sépare les deux villes dont les noms constituent une anagramme. Trouée et dégradée, la voie est bordée d’une belle végétation. Si le voyageur ne peut manquer de croiser dans les deux sens de cet axe très fréquenté les voitures et motos qui convergent vers la localité, ce jour est particulier : samedi 19 novembre, des milliers de chrétiens du Mali et des pays de la sous-région s’y rendent dans le cadre de la célébration du 51e pèlerinage catholique à Kita.
La localité, aussi auréolée pour être la « capitale de l’arachide » et aussi plus récemment du coton, est très visitée. Mais aujourd’hui et malgré les potentialités agricoles de la zone, la ville assiste, amere, au départ de ses jeunes en migration ou dans les zones d’orpaillage.
Aussi, pour tenter de rester malgré tout, certains se lancent dans l’entrepreneuriat. Ce fut le cas de l’infirmier d’Etat Faballa Mohamed Coulibaly. Ce trentenaire a roulé sa bosse un peu partout dans différents hôpitaux au Mali, avant de s’installer et d’ouvrir à Kita cette année le cabinet « Kènèya » Mamadou Mamby Couliblay. La structure médicale de façade verte et grise est située dans le quartier de Farabala. Le dimanche matin, malgré la fraicheur de ce début de saison froide au Mali, Mah, la femme de ménage, est au four et au moulin pour nettoyer les locaux. « Il faut que je fasse vite, souvent dès 7h des patients viennent », lâche-t-elle.
A peine finit-elle de nettoyer qu’un certain Dramane débarque avec sa vieille maman pour lui faire prendre sa tension artérielle. Le contrôle est aussitôt effectué par l’infirmier de garde, Modibo, jeune sortant de l’une des trois écoles de santé de Kita officiellement reconnues par l’Etat. Depuis quelques mois l’infirmier exerce dans le cabinet. Tout comme une quinzaine d’autres (infirmiers, matrones, sage femmes, aides soignants et stagiaires) qui œuvrent pour la bonne marche de la structure.
« Ici, on fait des consultations, des accouchements, de l’échographie et de la petite chirurgie », explique Faballa, couvant des yeux sa machine d’échographie flambant neuf.


Son cabinet a tout d’un mini-centre de santé avec des salles d’observation, de consultation, d’échographie donc, d’accouchement et une pharmacie. « Depuis que j’ai commencé à étudier à l’École de santé, c’était un objectif pour moi de créer cette structure pour aider nos populations rurales à se soigner à proximité. C’était un rêve de mon père et il fallait que je le réalise », justifie-t-il.
Après une première ouverture éphémère du cabinet à Toumoudala, village situé non loin de Kita, son rêve, Faballa l’a vraiment réalisé en septembre dernier grâce à l’appui du Fonds d’appui à la création d’entreprises par les jeunes (Facej), un programme danois qui lui a octroyé de quoi réhabiliter son local, s’acheter une machine d’échographie et une lampe chauffante pour bébé. « J’avais quitté Bamako pour m’installer à Kita, après avoir perdu un bon poste dans une ONG. J’étais tellement malheureux que l’idée m’est venue de m’aventurer hors du Mali. Je l’avoue honnêtement, si ce n’était pas le financement du Facej, Dieu sait là où je serai en ce moment », murmure Faballa.
Mina Beauté, en plein centre de Kita
Autre domaine, autre bénéficiaire. Mariam Sissoko, 26 ans a également bénéficié de l’appui du Facej. Elle en a profité pour développer sa boutique de luxe beauté en salon de coiffure. A la vente des produits de beauté, Mariam a ajouté des coupes de cheveux, du maquillage et d’autres soins esthétiques.
« Après l’obtention de mon attestation de BT en secrétariat à Bamako en 2015, j’ai effectué plusieurs stages sans être embauchée. J’ai eu beaucoup de difficultés pendant cette période. Etant une personne qui n’aime pas trop être dirigée par quelqu’un, j’ai décidé de me lancer dans l’entreprenariat. », explique la cheffe d’entreprise, les yeux fixés sur son ordinateur dans un minuscule bureau, tout au fond de son salon. C’est ainsi que Mariam a commencé en 2020 par la vente de produits de beauté et le maquillage avant d’obtenir un prêt d’1 million et demie du Facej, qui lui a permis d’ouvrir le salon de coiffure Mina Beauté, en plein cœur de Kita, au quartier Darsalam.



« Le prêt m’a été très bénéfique car il m’a permis d’élargir mon business. En plus, bien que je le rembourse chaque mois, à la fin du paiement, le Facej à son tour me le remboursera. C’est leur stratégie actuellement, puisque qu’au début ils avaient donné des fonds gratuits à plusieurs jeunes avant de s’apercevoir qu’ils ne l’utilisaient pas pour créer des entreprises », explique-t-elle. Mariam, elle, utilise bien les fonds et s’en est servie pour créer de l’emploi pour d’autres jeunes : son salon emploie neuf coiffeurs dont cinq permanents (1 garçon et 4 filles).
De même que Mariam et Faballa, le Facej appuie une dizaine de jeunes entrepreneurs à Kati. Ce qui contribue à diminuer le taux d’exode dans la région, selon les autorités locales, avec le souhait cependant qu’on s’intéresse davantage à a vocation première de Kita la cotonnière : l’agriculture.
Aly Asmane Ascofaré
FACEJ : le rôle crucial des facilitateurs
Mis en place en 2019, le Facej est créé et financé par l’Ambassade du Danemark et co-financé par l’Ambassade des Pays-Bas.Son objectif est de financer 1 652 entreprises dans le District de Bamako, la région de Koulikoro, de Mopti, Tombouctou, Ségou, Sikasso et Kita, précise Chloé Rimmann, chargée de mission Genre, Plaidoyer et Communication du programme.
La structure dispose actuellement de trois guichets principaux. Celui pour la création d’entreprise pour des jeunes entre 18 et 30 ans (35 ans pour les femmes), un pour les entreprises en croissance, et un dernier qui vient de démarrer avec pour objectif de financer des entreprises écologiques.
Le Facej, c’est une de ses particularités, travaille avec des partenaires « facilitateurs ». Ce sont des structures d’accompagnement, des ONG, des centres d’incubation, qui sont une soixantaine. Ce sont elles qui identifient les jeunes, les appuient dans l’élaboration d’un plan d’affaires, comme ce fut le cas de Faballa. Il s’agit aussi de les accompagner pour l’obtention d’un prêt bancaire. Des prêts bancaires au taux d’intérêt de 8% avec quatre partenaires (BNDA, COFINA, CORIS, ORABANK) et le Fonds de garantie du secteur privé, qui appuie également.
Le mécanisme est simple : lorsque les jeunes obtiennent des prêts bancaires, ils sont accompagnés pendant 12 mois pour les entreprises en croissance, et 18 mois pour les startups, afin de parvenir à une consolidation de leur projet. Ces bénéficiaires disposent aussi d’une formation en gestion d’entreprise. Ils sont dans plusieurs domaines, sauf le commerce général. Le projet doit représenter une valeur ajoutée dans des secteurs considérés comme porteurs, comme l’agro business, le digital, la mode et les services.
A.A.A.
