Il est l’un des rares internationaux de football, en bonne santé physique, à avoir interrompu sa carrière sportive dès ses 26 ans, pour se consacrer à l’agriculture. Visite de la ferme qui fait aujourd’hui sa fierté et portrait d’un retraité suractif.
Gnongnan est un petit village à six kilomètres de Baguineda fait de modestes maisons couvertes de tôles. On y accède par une voie cabossée en terre battue après avoir laissé la Route nationale 6 qui mène à Ségou. En cet automne, il fait chaud la journée tandis que la nuit règne la fraicheur de l’eau environnante. Le hameau de 600 habitants est en effet encerclé par les champs de riz de l’Office du périmètre irrigué de Baguineda (OPIB). Passé ce village majoritairement bamanan et ses champs de riz, il faut s’aventurer à peu près sur trois kilomètres sur une route délabrée à peine large de cinq mètres, pour arriver à la « Maison du fermier ». Avec sa grande porte verte et la caméra de surveillance fixée au fronton, on croirait une prison. C’est la ferme d’Ousmane Konaté.
On croyait aller à la rencontre d’un ancien footballeur qui se la coule douce dans son champ après avoir sillonné le monde, mais raté ! Le bonhomme à l’air affable de 31 ans, fréquemment en babouches et portant un t-shirt vert à l’estampille de la Maison du fermier, a tout du cultivateur-né dont les journées s’accumulent et se ressemblent : travailler, travailler et travailler… Pas de grasse matinée pour le fraichement marié, qui se lève à 6h et se couche au plus tôt à 23h. Le matin, bien avant le réveil de ses employés, le trentenaire fait le tour de sa ferme agroécologique située dans la commune rurale de Baguineda.
Première étape : les bacs de poissons. Au nombre de deux, on y trouve des carpes et des silures. Puis s’ensuit la visite de ses pépinières d’oignon dont il attend impatiemment qu’elles produisent. De là, il part répondre aux caquètements de ses poules, avant de s’enquérir de l’état d’avancement de son champ de piments. Étape 2 : revenu pour prendre le petit déjeuner, le barbu à la démarche rapide se faufile entre ses plantations de poivron pour y prendre la température des plantes. Sur le chemin, difficile pour lui de ne pas serrer un tuyau d’arrosage par ci, donner un coup de daba par là dans le champ de gombo, puis faire un tour du côté des papayers. Troisième étape : vers 12h, Ousmane s’en va observer admiratif, tel un bébé devant son jouet, ses crocodiles sortir de l’eau. Au-delà de ces travaux pratiques et séances d’observation, l’homme est fréquemment au téléphone pour passer des commandes ou en recevoir, coordonner les travaux dans ses autres fermes ou conseiller un des nombreux agriculteurs qui sollicitent ses compétences agricoles.
Que chaque Malien puisse manger du poulet.
Ce grand monsieur robuste au crâne rasé déborde de vitalité, à la ferme comme dans l’art de convaincre. Comme lorsqu’il explique pourquoi, à 26 ans seulement, un footballeur professionnel au parcours international, gardien de but de surcroît, abandonne ses gants pour des bottes d’agriculteur : « j’ai voulu avoir ma liberté, être maître de moi-même. Au foot, on te dit quoi manger, quoi boire, quand dormir… alors qu’ici, je suis libre. Je décide de mon temps. Et le fait de nourrir le monde me donne impression de faire quelque chose de beaucoup plus utile », se justifie-t-il.
Péremptoire, il affirme : « Je voudrais être un exemple pour tous ces jeunes Africains qui meurent par milliers chaque année en voulant émigrer clandestinement hors du continent. Leur montrer que l’on peut vivre de l’agriculture en Afrique ». Ainsi s’exprime Ousmane Konaté, l’homme qui ambitionne d’œuvrer pour que chaque Malien puisse manger du poulet à bas prix.
Le chef d’entreprise dirige à 31 ans sept fermes familiales de 176 hectares au total, dont la plus importante, la Maison du fermier, qui réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de 800 millions de F CFA pour un financement initial de 1,7 milliards F CFA en 2016. L’envie de s’adonner à l’agriculture lui est venue, dit-il, lors d’une conversation avec un cousin en France qui lui a expliqué les potentialités de l’agriculture au Mali. Beaucoup lui conseillaient de s’installer au Gabon où il est né, mais l’appel du pays d’origine étant le plus fort, il retourne au Mali et se consacre à la Maison du fermier, localement appelée « Lafia ka foro » (le champ de Lafia, traduit du Bambanan, Lafia étant son père).
Coup d’essai, coup d’éclat. Première année : 14 millions de bénéfice rien que dans les orangers. Pas assez pour lui ? Il se rend au Bénin afin d’élargir ses compétences en agriculture, au Centre Songhaï, une école de fermiers-entrepreneurs créée en 1985 par le prêtre dominicain Godfrey Nzamujo.
Homme de terrain

Aujourd’hui, sur une superficie de 12 hectares, on cultive et élève presque de tout à la Maison du fermier. Alors qu’à l’ouest, poussent sur deux hectares les gombos fraichement semés (un mois) tout près du champ de poivrons (un demi-hectare), à l’est certains piments sont déjà mûrs. Sur 1,5 ha, ces piments sont de qualité : Cayenne et Antillais appelés localement en bamanan « Frontobani ». À proximité, une basse-cour de 800 mètres où voisinent des poules pondeuses, des oies, tortues et pintades. Subdivisée en quatre poulaillers, la basse-cour contient également des plants de piments Cayenne. La terre est si précieuse pour le propriétaire des lieux qu’il profite de chaque recoin pour y planter quelque chose. À cet effet, ici et là, dans la ferme, on trouve des centaines de pieds : orangers, pamplemoussiers, citronniers, moringas, tamariniers, nérés, karités, baobabs, jujubiers tropicaux (surettes), papayers… Au centre, les étangs à poissons et la mare aux caïmans, non loin des logements du personnel.
C’est au milieu de ce capharnaüm que le bonhomme a trouvé refuge après avoir sillonné le monde en tant que footballeur. Il y vit avec son épouse, Mariam Camara, ses 30 employés et leur famille. Avec son système d’électricité solaire et son forage, l’eau et le courant sont disponibles 24h/24h dans l’enceinte de la ferme.
Le tout sans aucun appui de l’État, ni d’une quelconque ONG ou encore d’une banque. « Je n’en cherche même pas, car je voudrais montrer par l’exemple aux jeunes qu’on peut réussir sans l’appui financier de ces organismes », assène l’entrepreneur, qui rêve de faire de son domaine agricole un modèle au Mali en y construisant prochainement une usine de production et de transformation de ses cultures, un local de production de poulets, une école de formation agronomique, un système d’arrosage automatique… Le tout en gardant en ligne de mire le respect de l’environnement.
« La persévérance de notre chef dans l’agriculture nous émerveille tous, tellement il s’y donne à fond. Alors qu’au début, c’est nous qui lui apprenions, maintenant c’est l’inverse », témoigne, admiratif, Adama Traoré qui s’occupe des agrumes de la ferme.
Du footballeur, Ousmane garde toujours le physique ; de l’agriculteur, il a acquis la ténacité, avec un goût de la compétition qui le conduit à toujours produire plus à chaque récolte. Son leitmotiv : « no pain no gain » (on n’a rien sans souffrir).
« Ce qui fait la grandeur de Papi est qu’il n’est pas ce chef qui s’assied et te dit ‘’va faire cela’’. Il est plutôt un leader qui se met devant ses employés pour travailler et montrer l’exemple », vante Mohamed Traoré, son plus ancien employé.
« Parfois même, s’ils sont fatigués et qu’ils veulent arrêter, quand ils me voient travailler, ils continuent », explique l’ancien élève de Godfrey Nzamujo qui a su, tout comme son ancien encadreur, influencer ses employés par son dynamisme et sa force de conviction. Ce qui pousse un cultivateur comme Ibrahim Siby à chercher conseil auprès de lui pour l’entretien de son propre champ. « Dès que j’ai suivi les recommandations d’Ousmane, j’ai commencé à voir les retombées » admet, reconnaissant, Ibrahim.
Le savoir-faire plutôt que les grands diplômes
Issu d’une famille d’entrepreneurs, le barbu trilingue (français, portugais, bamanan), n’est pas un fanatique de l’école classique et des « gros diplômes ». D’ailleurs, dit-il, ses enfants ne dépasseront pas plus de neuf ans à l’école, soit juste le temps d’obtenir le Diplôme d’études fondamentales, pour savoir lire, écrire et maitriser les opérations de base en calcul.

« J’opte plus pour la philosophie anglo-saxonne qui préconise le savoir-faire plutôt que le diplôme. C’est pourquoi je conseillerai à mes enfants de se lancer dans l’entrepreneuriat très jeunes », se justifie celui qui pense que c’est lorsqu’on est jeune qu’il faut entreprendre. Une façon de voir les choses héritée de son idole de père, Lafia Konaté, un opérateur économique malien ayant fait fortune plus de quarante ans au Gabon où est né et a grandi Ousmane. Bon sang ne saurait mentir !
Si la Maison du fermier n’est pas la ferme la plus prospère du pays, c’est la vision de celui qui dirige l’exploitation qui séduit. « Je voudrais inciter les jeunes Maliens à abandonner la migration irrégulière pour s’adonner à l’agriculture », prêche Ousmane Konaté, le « fou » d’agriculture.
Aly Asmane Ascofaré
Papi, le « Noir de la chance »
Avant le football, cet athlète d’une fratrie de huit enfants, originaire de Nanguila dans le Mandé, s’est essayé à plusieurs disciplines, comme le tennis, le karaté, le basket et le ping-pong… Son apprentissage footballistique a commencé en 2004 à l’École nationale de football de Port-Gentil au Gabon, où son père s’était installé. Suivent le Cameroun en 2005, à l’Akandi Sport Academy (où a été formé l’ex-international camerounais Samuel Eto’o), et le Sénégal en 2006, au Collège Africain Sport-Etude.
Papi, son surnom familial, fait ensuite un passage en première division gabonaise avec le Stade Mandji de Port-Gentil, en 2008. Il n’y restera qu’une année avant de s’envoler au pays de Cristiano Ronaldo pour rejoindre le club portugais de 5ème division SC Régua. Au Portugal, il jouera aussi pour trois autres clubs : Vila Real, CD Torres Novas et le Juv Pedras Sagadas. Avec le Vila Real, en 2012/2013, il réussit sa meilleure performance : 16 matches sans encaisser un seul but ! Ce qui lui a valu une convocation avec l’équipe nationale junior du Gabon pour les éliminatoires de la CAN junior 2013 et le surnom du « Noir de la chance » de la part des supporteurs du club portugais. « Selon eux, dès que je joue on gagne. J’étais leur chouchou », se remémore-t-il en souriant. Avec sa simplicité, son ouverture d’esprit et sa bonne humeur, il est difficile de ne pas se laisser séduire par le bonhomme qui, dit-il, à un moment donné, a sollicité la fédération de football du Mali pour venir jouer pour son pays d’origine. « Mais en vain », regrette-t-il.
Sa carrière dans le ballon rond n’a pas été aussi glorieuse que celle des portiers Casillas (Espagnol) et le Brésilien Dida, ses deux idoles. Avec un mauvais agent et sans appui de poids, bien que talentueux, le géant de 1 m 90 n’a pu voler aussi haut qu’il le rêvait. Il était pourtant « un gardien important par la taille, et bon au jeu de pied », explique son ancien coéquipier et ami Merlin Tandjigoura. Au moment où il a rangé ses gants de gardien, Ousmane Konaté était sollicité par le club Al Duhail du Qatar pour un contrat de 65 millions de F CFA par an. Sans regrets, l’ancien international assure gagner plus depuis qu’il est fermier.
A.A.A.


Des crocodiles qui ne s’en laissent pas conter
En attendant de combler son ambition d’élever des lions, Ousmane Konaté se contente de ses crocodiles (chers à son cœur) pour varier les espèces de sa ferme. Pas si dociles, au nombre de six, deux blancs et quatre noirs, ces crocodiles sont nourris de crapauds en plein centre de la ferme, dans une sorte de piscine aménagée spécialement pour eux. Chaque après-midi, en rampant avec les pattes pliées ou le ventre traînant sur le sol, ils se prélassent au soleil, la gueule ouverte pour se rafraîchir. Au grand plaisir de leur propriétaire qui ne manque « presque jamais l’instant », confie-t-il, l’œil rivé sur ses « bébés » longs d’1 à 2 m. « Je les achète entre 100.000 et 300.000 CFA lorsqu’ils sont tout petits aux habitants des villages environnants », explique Ousmane Konaté qui avoue les entretenir « pour le plaisir » et aussi « pour protéger une espèce en voie de disparation dans la zone ».
A.A.A.
