Kéniéba : l’orpaillage, source d’autonomisation des femmes

L’exploitation artisanale de l’or reste une activité phare à Sakola Bada, un village du cercle de Kéniéba. Là, les femmes exercent plusieurs activités pour subvenir à leurs dépenses familiales. On est frappé par leur courage.

Nous sommes à Sakola-Badala, à quelques kilomètres de Loulo. Dans ce site d’extraction, beaucoup de monde dans un grondement assourdissant de machines. Ici et là, des femmes s’activent à remonter des puits des récipients remplis de banco ou de « boxo » (en malinké), à   piler le banco dont la poudre sera tamisée et lavée pour extraire les quelques petits grammes ou kilogrammes d’or, si la chance leur sourit. A côté des puits, ce sont aussi les femmes qui ont aménagé des cuisines de fortune où est préparé le repas des travailleurs. On les retrouve également ces dans au marché, où se côtoient des vendeuses de céréales, d’arachides, de fonio, de fruits de cueillette (baobab, néré, karité), entre autres. D’autres encore gèrent des restaurants modernes et des salons de coiffures.

C’est dire que les femmes jouent un rôle capital dans le processus d’exploitation du métal jaune. L’orpaillage traditionnel, qui est une pratique ancestrale dans le cercle de Kéniéba (région de Kayes), attire de plus en plus de travailleurs, et notamment les femmes.

On voit venir trois jeunes filles : l’aînée, Kama Traoré, ouvre la marche, suivie de Sétou et de Djitaba, la benjamine. Leurs pagnes remontés jusqu’aux genoux, elles portent des hauts bodies colorés, des petits foulards de tête et mâchouillent un cure-dent. Leurs calebasses en mains, elles s’apprêtent à commencer le travail, sous un soleil brulant, le dos courbés devant une flaque d’eau. De 13h à 18h, apprend-on, les trois sœurs parcourent les pistes sinueuses des sites d’orpaillage abandonnés pour rechercher l’or qui servira à constituer leur trousseau de mariage. Elles pratiquent cette activité depuis des années.  Par semaine, elles peuvent collecter 2 à 3 grammes d’or et chaque gramme est vendu à 30.000 Fcfa à Sakola. Elles ont du mal à situer leurs âges respectifs. Comme elles, beaucoup de jeunes filles vivant sur ce site ont abandonné l’école ou n’y sont même jamais allées, leurs parents préférant qu’elles se consacrent à des tâches ménagères, à l’agriculture ou à l’orpaillage.

La plus âgée nous raconte que son père, convaincu que la place d’une femme est à la cuisine ou au foyer, l’a retirée de l’école en 4ème année fondamentale pour qu’elle assiste sa maman dans les travaux ménagers. À l’époque, la jeune fille n’a eu que ses larmes pour protester. Mais aujourd’hui elle murmure timidement, en mâchouillant son cure-dent : « je veux retourner à l’école pour devenir institutrice. »

Une activité incessante

Plus tard, nous arrivons à Sakola « Damanda » (site aurifère en Bambara). Femmes et hommes sont à la tâche pour gagner de l’argent à travers le lavage et le nettoyage de l’or.  En jetant un coup d’œil sur l’eau stagnante, un spectacle désolant attire l’attention : une eau jaunie par ces activités coule partout. Le vacarme des machines broyeuses de pierres est assourdissant. Une fois concassées, les pierres sont déversées dans de grands sacs qui s’entassent dans un coin.

Sur le site où sont nombreux ceux qui espèrent trouver de quoi nourrir leur famille, les hangars et les habitations de fortune (huttes en paille et en plastique) sont construits à foison, faisant office d’habitation. On voit aussi des magasins de vente d’or.  L’endroit s’anime également avec la présence de batteurs de pierre sous les hangars. Leur travail consiste à séparer les pierres des fragments d’or. Parmi les femmes présentes, certaines sont déjà dans le bain, tandis que d’autres, assises sur des bancs, attendent de recevoir les pierres afin d’y extraire de l’or. Un véritable travail à la chaîne.

Aissata Douga a déjà commencé le travail. Le dos courbé devant sa baignoire, munie de son « tisseur », cet ustensile servant à séparer l’or du sable, elle lave avec vigilance l’or de son client. Elle vient tous les après-midis. Cette ménagère d’une trentaine d’années, mère de six enfants, économise après chaque travail les petits grains qu’on lui donne, en guise de salaire ou de récompense. La somme issue de la vente de son or lui permet d’aider son mari à subvenir aux petites dépenses de leur famille. Mais souvent, à l’en croire, les clients partent avec tout ce qu’ils gagnent. « Ils ne nous donnent ni argent ni métal précieux. Pire, après le lavage, ils partent même avec les chiffons qui nous ont servi au nettoyage… au cas où ils contiendraient encore un peu d’or ! Dans ce cas, je rentre bredouille », regrette la jeune-femme. Pas de quoi pourtant entamer son courage.

Les orpailleuses partagent toutes un grand espace. Celles qui ne travaillent pas, s’asseyent sur un long banc à l’affût d’un éventuel client, d’ici la fin de la journée. Durant cette attente, souvent longue, certaines dorment sur leur siège. C’est le cas de Houssa Konaté, qui s’est recouvert le visage avec son foulard pour se protéger des mouches qui fusent de tous côtés. Cette jeune femme dont le mari est polygame affirme qu’il lui arrive souvent d’être satisfaite de sa journée. « Je travaille vraiment dur, mais les jours où je gagne, je suis contente de rentrer à la maison avec une somme me permettant de préparer le mariage de mes deux filles. Je fais le même travail que mon mari et sa coépouse… mais quand celle-ci gagne mieux que moi, elle me provoque ! C’est la raison pour laquelle je reste ici, tard, jusqu’à 19 heures dans l’espoir de trouver du travail », confie-t-elle.

Même son de cloche chez Mariam Guindo, une collègue. « Ici à Sakola, nous vivons tous des activités de l’orpaillage et nos maris ne nous donnent rien pour les petites dépenses de la famille. Cette activité nous aide beaucoup », indique-t-elle. En ce jour, elle a pu gagner un gramme d’or. Même si la chance parfois leur sourit, ces femmes se plaignent de leur situation de santé, et dénoncent les risques liés à ce travail. « Les soirs, on sent des courbatures partout, de la tête aux pieds. Surtout des maux de dos ! Souvent, j’ai recours au massage pour pouvoir dormir », confie Mariam Guindo.

Comment aider ces femmes, certes motivées car elles arrivent à faire vivre leur foyer, mais dont les conditions de vie sont si difficiles ?  Les aider, ce serait aussi contribuer à un développement moins anarchique de ces localités de l’or.

Fadi CISSÉ

Ce reportage a été publié le 2/11/2022 par le quotidien L’Essor

Un cabinet de soin à la portée des orpailleurs

Le village de « Sakola Badala », est doté d’un petit cabinet de soin pour la gestion des accidents ou  maladies. Il est reparti en une salle d’accueil, une salle de consultation, et une salle de repos. Dans cette structure sanitaire, dont la garde est assurée par Kaba Danfaga, cet aide-soignant reçoit par semaine plusieurs cas d’accidents de travail dont la majorité des victimes sont des orpailleurs. Là, en cas de gravités de blessures, le patient est rapidement transféré au Centre de santé de Kéniéba.

Adama Ballo, la coiffeuse autonome à Sakola Badala

Certaines femmes parcourent plusieurs kilomètres pour venir chercher du travail à Sakola-Bada. Si la principale activité est l’orpaillage et le commerce, on trouve aussi des services de restauration, de lessive, ou encore coiffure. Adama Ballo, âgée de 23 ans, s’est consacrée à la coiffure. Cette jeune fille fine, au teint clair et au sourire séduisant, a quitté Bamako pour venir chercher des clients à Sakola-Bada. La célibataire sans enfant n’a suivi aucune formation pour exercer son métier. Elle l’appris sur le tas depuis l’enfance. Grâce à cette activité, la jeune fille vêtue d’un wax jupe complet couvre les dépenses de ses frères qui sont à l’école.  Elle assure aussi et surtout les charges de sa famille à Bamako, son père n’étant plus de ce monde et sa maman malade. Les prix de coiffures de notre interlocutrice varient entre 500 à 10.000 CFA en fonction des modèles. Elle se dit heureuse depuis son arrivée à Sakola, il y a cinq ans.

F.C

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