Malgré les progrès de la scolarisation des filles, beaucoup de jeunes femmes abandonnent leurs études après leur mariage. Ce phénomène impacte la participation des femmes dans la vie publique.
Communément appelée Massan, Mama Tamboura est une jeune femme de 21 ans de taille moyenne, teint noir et de nature timide. Elle avait comme ambition d’étudier pour devenir une grande personnalité du pays. Mais le rêve de Massan s’est brisé après son mariage. D’origine peule, de Nioro du Sahel, elle est née et a grandi à Bamako. Jusqu’à aujourd’hui, la famille Tamboura reste attachée au mariage arrangé. Pourtant, grâce à son courage et à sa détermination à poursuivre ses études, Massan a évité un premier mariage arrangé au village.
« Je me suis échappée la nuit même du mariage et suis revenue à Bamako. Ça n’a pas été facile parce qu’une fois arrivée, je me suis cachée chez l’ami de mon grand-frère pendant plus d’une semaine. Mon père n’est plus, et à part ma mère, les autres membres de la famille étaient tous de mon côté. Après des semaines, je suis retournée en famille et j’ai pu continuer mes études. Une année après, j’ai eu mon diplôme d’études fondamentales », explique-t-elle.
Puisque c’est une tradition, ses deux grandes sœurs ayant d’ailleurs subi la même chose, notre brave Massan n’y échappera pas la deuxième fois. En 2021, au moment où elle préparait son baccalauréat, elle a été ramenée de force au village par un oncle et son mariage a été célébré loin de sa famille et de ses proches. « Mon tonton est venu sans prévenir. Il m’a ramenée et mariée avec son fils. Il a promis à ma mère de me laisser revenir à Bamako pour continuer mes études après le mariage. Et je suis effectivement revenue en vue d’obtenir le bac. Malheureusement, étant donné ces désordres, j’ai échoué à l’examen. Il a dit que c’était ma seule chance, donc j’ai été obligée d’abandonner mes études et de rejoindre mon foyer » témoigne-t-elle, remplie de tristesse.
Combiner études et travaux domestiques
Le cas de cette jeune femme n’est pas le seul, loin de là. Elles sont nombreuses à travers le pays à abandonner leurs études après le mariage. Selon le Dr Seydou Loua, sociologue, le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. « Beaucoup n’arrivent pas à combiner études et travaux domestiques, surtout quand elles sont au niveau fondamental ou secondaire, et en même temps vivre en grande famille. Avec la maternité, les travaux domestiques et les exigences scolaires, ça devient trop compliqué. C’est un gâchis pour elles, pour leurs familles et pour l’État parce que l’État investit beaucoup dans l’éducation. Ça joue sur l’indépendance financière de la femme. Une femme qui n’étudie pas, n’a pas de diplôme. Quand on n’a pas de diplôme, ce n’est pas facile de trouver un travail bien rémunéré. La femme sera liée financièrement au mari, ce qui provoque des disputes qui peuvent même conduire au divorce » déclare le sociologue.

Ce problème d’abandon des études après le mariage ne se pose pas seulement au niveau fondamental ou secondaire, les grandes universités sont aussi confrontées à ce problème. Le Pr Idrissa Seyba Traoré est recteur de l’université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako. Il nous confirme les cas d’abandon des études par des jeunes femmes après leur mariage, à l’université de Kabala. Par ailleurs, il souligne d’autres cas non signalés. « Je prends l’exemple de trois dames que j’ai encadrées. Au moment où elles étaient en train de rédiger leur mémoire, leur mari n’était plus d’accord. L’une était une brillante étudiante, elle a tout validé. Pour traiter son mémoire, il fallait des va-et-vient et le mari n’était pas d’accord. C’était des moments de pleurs, elle a dû abandonner. J’ai mis en place un mécanisme qui consistait à m’envoyer ses travaux par internet, je les examinais jusqu’au moment de la soutenance. Même la semaine dernière, une dame est venue me voir qui est aussi dans ce cas. Elle n’a pas pu soutenir depuis 2006 à cause de son mari. Nous avons plus d’une dizaine de cas », fait-il savoir.

Un silence pesant
A l’en croire, il y a un silence pesant autour du problème. Pour lui, les femmes constituent un public vulnérable dont il faut absolument défendre les droits. « Normalement, toutes les filles qui parviennent à obtenir le def (diplôme d’études fondamentales) doivent être protégées afin qu’elles puissent au moins continuer leurs études. C’est vraiment du gâchis de voir une femme abandonner ses études après le def ou le bac», regrette-t-il.
Cet abandon des études est un véritable fléau dans la société malienne mais, de nos jours, les statistiques n’existent pas encore sur le sujet.
Même sans chiffres disponibles, le chef de la Division planification d’examens et de concours de l’Académie d’enseignement de la rive droite, Daba Traoré, confirme qu’il y a bien un problème d’abandon des études par les jeunes femmes après leur mariage. Il ajoute : « J’ai vu beaucoup de tels cas, ce qui baisse le taux de maintien des filles à l’école, calculé à partir du taux d’achèvement de la fin du cycle. On peut toujours avoir un taux de scolarisation élevé, mais l’impact des mariages et autres fait baisser le taux d’achèvement du cycle ».
Aux dires du secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale, Akinane Ag Gadega, dans nos sociétés, la scolarisation des filles pose beaucoup de problèmes. D’après lui, quand les filles et les garçons viennent à l’école, un garçon a plus de chances de continuer ses études qu’une fille. D’abord, dit-il, on pense qu’il faut scolariser les garçons et que les filles doivent rester à la maison pour préparer la cuisine et s’occuper des tâches ménagères. « C’est pourquoi nous constatons que beaucoup de filles abandonnent leurs études au 1er cycle, second cycle et au secondaire. En plus des facteurs sociaux, il y a l’éloignement de l’école, le mariage précoce et les problèmes d’insécurité. Pour toutes ces raisons, beaucoup de filles abandonnent l’école. Ces abandons sont plus nombreux en milieu rural qu’en milieu urbain », déclare-t-il.


Selon Mme Diarra Djingarey Maiga, présidente du Mouvement féministe du Mali, cette interruption des études a un impact sur le nombre de femmes impliquées dans la vie publique, et donc la prise en compte de leurs besoins dans les politiques, programmes et lois. « Si elles n’ont pas les qualifications nécessaires, elles ne participeront pas aux prises de décisions aux niveaux local et national. Ça joue aussi sur l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD), à savoir l’objectif n°4 en rapport avec l’éducation. Si cela est possible, il faut développer des filières porteuses depuis la 7ème année : ainsi, une fille, à 18 ou 19 ans, qui a acquis une spécialisation, peut continuer même après son mariage. Elle peut travailler dans l’agriculture, la pêche, enseigner dans les écoles communautaires, et pourquoi pas créer sa propre entreprise », propose-t-elle.
Sans doute, mais quand est-ce que les maris comprendront que leurs épouses, tout comme eux-mêmes, ont pleinement le droit de décider de leur avenir professionnel ? Il est grand temps de faire évoluer les mentalités.
Assan TRAORE

Cet article a été publié par l’hebdomadaire Le Reporter, le 27/09/2022
