L’ACI 2000, zone d’urbanisation accélérée dans le « haut de gamme » est aussi une véritable zone verte. Car ce quartier d’intense spéculation immobilière est un petit paradis pour le maraichage urbain.
C’est sous un soleil brumeux accompagné d’un vent frais que nous rencontrons le jeune Klamagan à l’ACI 2000, non loin de la Banque nationale de développement agricole (BNDA). Muni de deux arrosoirs, il fait des va et vient incessants entre les planches de salades pour les arroser.
Klamagan travaille comme apprenti pour deux «gestionnaires» de ce grand terrain transformé en espace de maraîchage. Mahamadou Doumbia et Issa Diawara travaillaient pour une société de gardiennage à l’ACI 2000 et ont eu l’idée d’initier cette activité à la fin de leur contrat, en 2013.
Deux jeunes chanceux
La nature ayant horreur du vide, les deux associés ont eu l’idée de creuser un puits sur cet espace laissé vacant, sans demander d’autorisation. Mahamadou Doumbia assure que mieux vaut souvent prendre un tel risque plutôt que de rester à ne rien faire. «Après, on a construit des planches pour des plantes à croissance rapide», dit-il, avant de préciser qu’ils étaient à l’époque plus d’une vingtaine de personnes à occuper le lieu.
Un beau jour, poursuit-il, le propriétaire du terrain est arrivé. Les deux maraîchers improvisés lui ont expliqué qu’ils sont chefs de famille sans emploi et qu’ils avaient trouvé là un moyen de travailler afin de faire face aux dépenses quotidiennes. Le propriétaire a été compréhensif et leur a donné la chance de produire sur son terrain, tant qu’il n’avait pas besoin de l’espace.
Cependant, il a fait dégager toutes les autres personnes pour construire un parking de voitures, réduisant ainsi la superficie occupé par le jardin. Puis «le chef des lieux a trouvé un autre terrain pour nous, situé non loin d’ici. On y pratique également le maraîchage», confie Mahamadou Doumbia.
Dans le jardin des deux jeunes chanceux, on aperçoit de loin les diverses cultures maraîchères : salades aux couleurs d’un vert brillant sous le soleil, betterave, feuilles de citronnelle, quelques rangées de céleri. Dans ce jardin, un petit hangar est construit à côté du puits où les travailleurs, présents de 6h à 20h, se reposent. L’existence de ce puits avec la fraîcheur qui s’en dégage de temps en temps donne l’impression d’être à la plage !
Les deux amis ont embauché quatre garçons comme apprentis, qu’ils rétribuent à 12.500 CFA par personne et par mois. Ce sont les femmes possédant les points de vente dans les marchés qui viennent s’approvisionner, ainsi que des acheteurs occasionnels. Chaque planche est vendue à 1.000 CFA.
La période de croissance pour la salade est de 35 à 37 jours pendant les mois de fraîcheur, et 35 à 40 jours en période de chaleur. Pour protéger ses légumes, Mahamadou dit vaporiser chaque semaine un pesticide appelé «K-Optimal». Selon lui, le produit élimine toutes les impuretés dans les planches et donne une belle couleur à la salade et aux autres légumes. A l’en croire, ce produit ne crée pas dommages pour la santé humaine, car «je me suis bien renseigné à la boutique avant de l’acheter», assure-t-il.
Sachant que le terrain ne leur appartient pas, ils se disent prêts à quitter le lieu dès que le propriétaire réclamera son espace. Grâce à son activité, Mahamadou Doumbia s’est acheté un terrain à construire. Actuellement, il est en phase de finition de sa maison et compte déménager bientôt avec sa famille. Comme lui, son ami Issa s’est marié et s’est acheté un terrain, également en cours de construction.

Une occupation illégale qui arrange tout le monde
Un peu plus loin, nous apercevons un grand espace, derrière la Clinique Pasteur. Des hommes et des femmes sont en train d’arroser ou sarclent à l’aide d’une daba, tout en faisant de petits pas en avant. Chacun possède un puits à son nom, et un hangar pour se reposer. Nous faisons ici la connaissance de Moussa Traoré, 32 ans, qui cultive salade, céleri, menthe, et subvient ainsi aux dépenses de sa famille.
Ce grand espace est géré par Fatoumata Dembelé. Quinquagénaire et mère de cinq enfants, elle l’occupe depuis 13 ans. Elle est la mémoire de ce quartier, où se trouvait l’aéroport, et où sa mère cultivait à l’époque. Au décès de sa mère, le propriétaire lui a confié le lieu. «Vu que je ne peux pas toute seule cultiver tout cet espace, je donne en location des parts du jardin. Tout ceci en attendant que le propriétaire ne réclame son espace», confie notre interlocutrice. Pour elle, l’argent qu’elle retire ici permet de gagner sa vie.
L’ACI 2000, nous expliquent ces jardiniers, est un quartier où règne en maître la spéculation immobilière. Pour se mettre à l’abri des mauvaises surprises, les propriétaires de terrains nus préfèrent tolérer la pratique du jardinage, plutôt que de courir le risque d’une usurpation illégale, ceci en attendant de construire ou de revendre.
Autant les maraîchers improvisés tirent leur épingle du jeu, autant les habitants et les occupants des multiples immeubles transformés en bureaux de travail tirent profit du microclimat doux généré par la végétation. Ces espaces reverdis ont aussi l’avantage de donner des couleurs au regard des passants. Ils leur permettent d’aspirer un bon coup de fraîcheur. Les urbanistes et les environnementalistes, adeptes du tout-béton, pourraient en « prendre de la graine » !
Fadi Cissé
(article publié dans L’Essor, le 30 décembre 2021)
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